La crise qui secoue l’Église est essentiellement due au “pyrrhonisme” qui s’est emparé des mentalités actuelles, y compris au sein du clergé. Le pyrrhonisme est une négation de la raison en tant qu’elle est la faculté d’atteindre l’être des choses et leur signification et d’y adhérer par le vouloir. Il s’agit d’une sorte d’illogisme qui fait le lit de ce que Benoît XVI appelait “la dictature du relativisme” : plus rien ne doit être considéré comme définitivement vrai.
Dans l’Encyclique “Humani generis” déjà, Pie XII avait enseigné que contre le pyrrhonisme qui caractérise l’esprit du monde moderne, il était nécessaire de reconnaître “l’authentique et exacte valeur de la connaissance humaine capable d’arriver à une vérité certaine et immuable.” Quant au Bx Paul VI, il avait proclamé que “nous sommes les seuls à défendre le pouvoir de la raison” (2 juin 1972). Dans la Constitution dogmatique “Lumen gentium”, Vatican II affirme, contre le pyrrhonisme, que par la lumière naturelle de la raison humaine nous pouvons connaître Dieu comme le principe et la fin de toute chose (LG, n.16). Cet enseignement sera repris et développé dans le “Catéchisme de l’Église catholique” (CEC, nn. 35 et ss.) Enfin, à travers la Constitution pastorale “Gaudium et spes”, l’Église condamne ceux qui enseignent ou admettent qu’il n’existe pas de Vérité absolue : “On désigne sous le nom d’athéisme des phénomènes entre eux très divers. En effet, tandis que certains athées nient Dieu expressément, d’autres pensent que l’homme ne peut absolument rien affirmer de lui. D’autres encore traitent le problème de Dieu de telle façon que ce problème semble dénué de sens.” (GS, n. 19 §2).
Aujourd’hui, le pyrrhonisme est largement introduit dans la mentalité catholique et pousse de nombreux fidèles - et parmi eux des membres de la hiérarchie - à penser que puisque l’esprit humain n’est pas capable d’appréhender la Vérité une et immuable, l’Église ne doit plus être "monolithique" : elle peut enseigner "sa" vérité, mais à la condition de laisser chacun libre d’y faire des distinctions et des préférences en faisant appel à son jugement personnel. Il faut donc s’interdire tout immobilisme qui conduirait à penser qu’un enseignement est définitif ou que la liturgie doit être célébrée dans le respect de règles objectives qui en fixent le déroulement. Par conséquent, tout doit être relativisé. Ainsi, si le Magistère s’applique encore au pape, il ne doit plus être pratiqué par les évêques. Ce qui marque une défaillance de l’autorité en même temps qu’une possibilité de s’affirmer catholique tout en cultivant un scepticisme ouvrant sur d’infinies variations doctrinales toutes aussi valables les unes que les autres. Dans ce mouvement, la morale “doit être vie, dynamique de vie et, à ce titre, soumise à une croissance intérieure qui écarte toute fixité” (Cf. le Cardinal Suenens en 1966).
Dès lors put-on encore parler de “crise” de l’Église ? Non, bien sûr. Car comment pourrait-il y avoir crise quand il n’y a plus de mesures fixes, d’instrument pour discerner la foi de ce qui n’est pas la foi et lorsque, dans des discours embrouillés on arrive à prendre pour une seule idée ce qui, en fait s’attache à plusieurs idées opposées ? Le pyrrhonisme engendre le mobilisme : puisque plus rien ne doit avoir de stabilité et de signification, tout doit sans cesse être démoli et reconstruit, détruit et réinventé. Le "soyez fermes et immuables" de S. Paul (cf. 1 Cor. 15) est remplacé par le "soyez mobiles et instables" de très nombreux clercs de l’Église postconciliaire.
La liturgie passe alors du sacré qui porte à l’universel et à la subordination au poétique qui aiguise le sentiment individuel et le relativisme. Car la célébration ne doit plus être plus un acte d’Église stable qui transmet et signifie la Vérité permanente, mais une action privée et variable, sans cesse innovante, au cours de laquelle le célébrant - ou tout autre personne - crée des formules et imagine des gestes. La célébration déchoit au niveau d’une activité privée qui permettra au célébrant et à l’assemblée de se séparer de l’Église sans pour autant s’opposer ouvertement à elle.
On entre ainsi, en passant par le pyrrhonisme et le mobilisme, dans quelque chose qui n’est plus l’Église catholique. Dans ce "quelque chose", les célébrations qu’on ose encore appeler "liturgiques", en l’absence de règles, sont présentées comme l’idéal du style nouveau que doivent avoir les messes (lesquelles se font maintenant sous des chapiteaux de cirques ou dans des salles de spectacles avec l’aval des évêques...), le but à atteindre étant d’induire les fidèles dans une religiosité qui, en dépréciant la raison et l’intelligence, interdit définitivement à l’homme de connaître Dieu et de s’approcher de Lui.