Ci-dessous le commentaire de l'Evangile du premier dimanche de carême, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale. Jésus-Christ vient d’être baptisé et le Père l’a confirmé dans sa filiation divine. Par trois fois, Satan va essayer de reproduire la tactique mensongère qui avait si bien fonctionné avec Adam et Eve. A trois reprises il porte son attaque sur la relation de Jésus à son Père. Tout d’abord, il propose à Jésus de subvenir à ses propres besoins, le poussant implicitement à se soustraire à sa dépendance confiante envers son Père ; ensuite, il veut le conduire à mettre à l’épreuve son Père en l’obligeant à intervenir en sa faveur, ce qui implicitement manifesterait que Jésus doute de la relation qui l’unit à son Père. Devant la résistance de Jésus, n’y tenant plus, le démon découvre alors ses véritables motivations : conduire à l’adorer en se détournant de l’adoration véritable qui revient à Dieu seul en tant qu’il est la source de tout bien, conduire à une adoration servile au lieu d’une adoration vivante et vivifiante.
Evangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 4, 1-11
Le démon, le satanisme et autres phénomènes du même genre sont aujourd'hui très actuels et inquiètent fortement notre société. Notre monde technologique et industrialisé est imprégné d'occultisme, de spiritisme et pullule de magiciens, de sorciers, de diseurs d'horoscopes, de vendeurs d'envoûtements, d'amulettes, ainsi que de véritables sectes sataniques. Chassé par la porte, le diable est revenu par la fenêtre. En d'autres termes, chassé par la foi, il est revenu par la superstition. L'épisode des tentations de Jésus dans le désert, que nous lisons le premier dimanche de carême, nous aide à faire un peu la lumière sur ce thème. Tout d'abord, le démon existe-t-il ? C'est-à-dire, le mot démon renvoie-t-il vraiment à une entité personnelle, dotée d'intelligence et de volonté, ou s'agit-il simplement d'un symbole, d'une manière d'indiquer la somme du mal moral du monde, l'inconscient collectif, l'aliénation collective, etc. ? De nombreuses personnes, parmi les intellectuels, ne croient pas au démon au premier sens du terme. Mais il faut noter de grands écrivains et penseurs, comme Goethe, Dostoïevsky, ont pris très au sérieux l'existence de Satan. Baudelaire, qui n'était certes pas un saint, a dit que « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ». La preuve principale de l'existence du démon dans les Evangiles n'est pas l'un des nombreux épisodes de libération de personnes possédées, car les croyances antiques sur l'origine de certaines maladies peuvent avoir influencé l'interprétation de ces faits. La preuve, c'est Jésus qui est tenté dans le désert par le démon. La preuve, ce sont aussi les nombreux saints qui ont lutté dans la vie contre le prince des ténèbres. Ils ne sont pas des « Don Quichotte » qui ont lutté contre des moulins à vent. C'était au contraire des hommes très concrets, avec une psychologie très saine. Si tant de personnes trouvent absurde de croire au démon c'est parce qu'elles se basent sur les livres, parce qu'elles passent leur vie dans les bibliothèques ou à leur bureau, alors que ce ne sont pas les livres qui intéressent le démon mais les personnes, et surtout, précisément, les saints. Que peut savoir sur Satan celui qui n'a jamais été confronté à la réalité de Satan mais seulement à son idée, c'est-à-dire aux traditions culturelles, religieuses, ethnologiques sur Satan ? Celui-ci traite en général ce sujet avec beaucoup d'assurance et de supériorité, en considérant tout comme de « l'obscurantisme médiéval ». Mais ceci est une fausse sécurité. C'est comme celui qui se vanterait de ne pas avoir peur des lions, en donnant comme preuve le fait qu'il a vu beaucoup de peintures et de photographies de lions, et n'a jamais eu peur. D'autre part, il est tout à fait normal et cohérent que celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas au diable. Il serait même tragique qu'une personne qui ne croit pas en Dieu croit au diable ! Cependant, la chose la plus importante que la foi chrétienne a à nous dire n'est pas que le démon existe, mais que le Christ a vaincu le démon. Le Christ et le démon ne sont pas pour les chrétiens deux princes égaux et contraires, comme dans certaines religions dualistes. Jésus est l'unique Seigneur ; Satan n'est qu'une créature « qui a mal tourné ». Si un pouvoir sur les hommes lui est accordé, c'est pour que les hommes aient la possibilité de choisir librement un camp et aussi pour « qu'ils ne s'enorgueillissent pas » (cf. 2 Co 12, 7), en se croyant autosuffisants et en croyant ne pas avoir besoin de rédempteur. « Le vieux Satan est fou - dit le refrain d'un negro spiritual. Il a tiré un coup de feu pour détruire mon âme, mais il a mal visé et a détruit mon péché ». Avec le Christ nous n'avons rien à craindre. Rien ni personne ne peut nous faire de mal, si nous ne le voulons pas. Depuis la venue du Christ, Satan est comme un chien attaché : il peut aboyer de toutes ses forces et tirer tant qu'il veut sur sa laisse, mais si nous ne nous approchons pas de lui, il ne peut pas mordre. Au désert, Jésus s'est libéré de Satan pour nous libérer de Satan ! C'est la bonne nouvelle avec laquelle nous entamons notre marche de carême vers Pâques.