Alain Finkielkraut, normalien et philosophe, est professeur de philosophie à l’École polytechnique. Il est l’auteur de nombreux essais, dont La défaite de la pensée (1987), et vient de publier Nous autres, modernes. Tout en acceptant les aspects positifs de la modernité, Alain Finkielkraut est l’un des rares grands intellectuels français à en analyser les failles et à ne pas hésiter à braver le politiquement correct. Extrait :
1. Sur la tolérance : « Notre époque se veut être celle d'une tolérance infinie, d'une ouverture à l'autre. (...) L'autre a été malmené, il va être réhabilité. L'autre, c'est le juif, c'est l'esclave, c'est le colonisé, c'est l'étranger, c'est la femme, c'est l'homosexuel. Et nous, nous allons tirer les leçons de l'histoire et donc proclamer l'ouverture radicale à l'autre. Et la condamnation non moins intransigeante de toutes les formes d'exclusion, l'antisémitisme, l'intolérance, la xénophobie, le racisme, la misogynie, l'homophobie. Belle résolution. Mais qui enferme le présent en lui-même. Refus de tout ethno-centrisme, sauf celui de l'époque. (...) Au moins pouvons-nous regarder le passé avec une certaine hauteur. (...) Et le présent, ainsi, se condamne à lui-même. Voilà la nouvelle forme de l'arrogance moderne. Le meilleur analyste de ce processus, c'est Tocqueville. Il montre, en effet, que la démocratie des modernes n'est pas simplement une forme de vivre ensemble, ni un régime politique, mais elle est un mouvement vers l'égalisation des conditions qui lui inspire, dit-il, 'une terreur religieuse'. Ce dernier voyait dans l'égalité deux tendances, "l'une peut ouvrir à tous le champ de la pensée, (...) mais l'autre est celle du nivellement et de l'uniformité. Cette égalité continuelle (...) risque fort de rendre toute hiérarchie inacceptable et de faire de la tolérance non pas l'une des valeurs, mais la valeur suprême ».
2. Sur le relativisme : « Le relativisme est la plaie de nos sociétés quand bien même il ne conduirait pas au totalitarisme. Il conduit au nihilisme, qui n’est pas celui du « tout est possible », ni nécessairement du « tout est permis » – on met quand même ici ou là des barrières – mais le nihilisme effrayant du « tout est égal » qui accompagne l’enlaidissement du monde. Le monde s’enlaidit sous nos yeux. Si tout est égal, on ne peut pas répondre à cet enlaidissement. Le postmodernisme vous dira : « oui, tout change mais de toute façon l’humanité n’est que perpétuelle métamorphose, il n’est pas de crépuscule qui ne soit une aurore ». On cessera d’être moderne au sens d’un temps linéaire qui progresse, mais on aura troqué cette philosophie pour une autre pire encore, la métamorphose continuelle d’une réalité inaccessible à toute critique : « ça change, vive le changement ! ».