23 avril 2007 1 23 /04 /avril /2007 19:00

Alain Finkielkraut, normalien et philosophe, est professeur de philosophie à l’École polytechnique. Il est l’auteur de nombreux essais, dont La défaite de la pensée (1987), et vient de publier Nous autres, modernes. Tout en acceptant les aspects positifs de la modernité, Alain Finkielkraut est l’un des rares grands intellectuels français à en analyser les failles et à ne pas hésiter à braver le politiquement correct. Extrait :

 

 

 

 

1. Sur la tolérance : « Notre époque se veut être celle d'une tolérance infinie, d'une ouverture à l'autre. (...) L'autre a été malmené, il va être réhabilité. L'autre, c'est le juif, c'est l'esclave, c'est le colonisé, c'est l'étranger, c'est la femme, c'est l'homosexuel. Et nous, nous allons tirer les leçons de l'histoire et donc proclamer l'ouverture radicale à l'autre. Et la condamnation non moins intransigeante de toutes les formes d'exclusion, l'antisémitisme, l'intolérance, la xénophobie, le racisme, la misogynie, l'homophobie. Belle résolution. Mais qui enferme le présent en lui-même. Refus de tout ethno-centrisme, sauf celui de l'époque. (...) Au moins pouvons-nous regarder le passé avec une certaine hauteur. (...) Et le présent, ainsi, se condamne à lui-même. Voilà la nouvelle forme de l'arrogance moderne. Le meilleur analyste de ce processus, c'est Tocqueville. Il montre, en effet, que la démocratie des modernes n'est pas simplement une forme de vivre ensemble, ni un régime politique, mais elle est un mouvement vers l'égalisation des conditions qui lui inspire, dit-il, 'une terreur religieuse'. Ce dernier voyait dans l'égalité deux tendances, "l'une peut ouvrir à tous le champ de la pensée, (...) mais l'autre est celle du nivellement et de l'uniformité. Cette égalité continuelle (...) risque fort de rendre toute hiérarchie inacceptable et de faire de la tolérance non pas l'une des valeurs, mais la valeur suprême ».

 

2. Sur le relativisme : « Le relativisme est la plaie de nos sociétés quand bien même il ne conduirait pas au totalitarisme. Il conduit au nihilisme, qui n’est pas celui du « tout est possible », ni nécessairement du « tout est permis » – on met quand même ici ou là des barrières – mais le nihilisme effrayant du « tout est égal » qui accompagne l’enlaidissement du monde. Le monde s’enlaidit sous nos yeux. Si tout est égal, on ne peut pas répondre à cet enlaidissement. Le postmodernisme vous dira : « oui, tout change mais de toute façon l’humanité n’est que perpétuelle métamorphose, il n’est pas de crépuscule qui ne soit une aurore ». On cessera d’être moderne au sens d’un temps linéaire qui progresse, mais on aura troqué cette philosophie pour une autre pire encore, la métamorphose continuelle d’une réalité inaccessible à toute critique : « ça change, vive le changement ! ».

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commentaires

J
Débroussaillage. Le relativisme est la méthode de pensée habituelle des intellectuels (contextualisation, historicisation, complexification etc) Le relativisme dont on parle n'est rien d'autre que le pluralisme, c'est à dire l'idée de faire droit à des avis différents légitimes. Pas d'autorité incontestable ou absolue dans les matières humaines. (D'où la haine du relativisme par le monothéisme) <br /> Le nihilisme lui aussi est un symptôme. C'est toujours un jugement que l'on adresse à celui qui nie ou méprise nos chères valeurs. Plus il y a de grandes valeurs, plus il y a de nihilisme; et évidemment, quand une société s'écroule, on veut sauver, requinquer celles-ci.<br /> Mais soyons nihiliste du coup. Je prétends que l'existence, telle qu'elle est conçue, comprise, vécue, est la pire ennemie de l'existence. (On trouvera de nombreux exemples. Tiens : l'admiration, l'estime sont des ennemis mortels de l'intelligence. Le psychologique l'entrave. Méprisez donc..!)
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C
Monsieur Jean-Louis,<br /> <br /> Vous dites que le relativisme est la méthode de pensée habituelle des intellectuels, je me permets de rectifier : la relativisation est la méthode de pensée habituelle des intellectuels. Nuance de forme subtile mais d'importance fondamentale. <br /> D'autre part, vous semblez dire que ce qui est décrit dans l'extrait du texte de M;Finkielkraut est "le pluralisme", or il s'agit bien du relativisme dont il est question, car à aucun moment le pluralisme ne pourrait conduire de lui-même à un aplanissement de toute hiérarchie et de toutes valeurs. <br /> Par ailleurs, vous affirmez péremptoirement "pas d'autorité incontestable ou absolue dans les matières humaines" sans prendre la peine d'étayer ce qui est votre point de vue. Si, comme votre message laisse transparaître, vous êtes en faveur d'une société tolérante, prenez bien soin d'appliquer en premier les vertus que vous souhaitez imposer aux autres et tolérez que certains humains dans certaines matières considèrent qu'il puisse y avoir une autorité incontestable ou absolue.<br /> Enfin, vous ne définissez ni "nihilisme" ni "existence", ce qui rend votre propos au mieux idéologique et au pire incompréhensible.<br /> <br /> Quant à moi, j'étais initialement venu dire que c'était bien la première fois que j'étais en accord philosophique avec M.Finkielkraut. L'aplatissement des valeurs, le "tout le monde est beau tout le monde est gentil", cet abrutissement par le bien est une déconfiture d'une des plus grandes civilisations qui aient foulé cette planète.<br /> <br /> Sur ce, je vous souhaite une belle continuation,<br /> <br /> Au plaisir de vous lire.<br /> <br /> Censouf
A
Bonjour,<br /> En ligne sur mon blog, une fiche de lecture consacrée à La défaite de la pensée d'Alain Finkielkraut : http://100fichesdelecture.blogspot.fr/2015/05/alain-finkielkraut-la-defaite-de-la.html
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