Les églises sont vides et parmi les fidèles qui pratiquent encore, rares sont ceux qui sont satisfaits de la façon sont célébrées les messes paroissiales auxquelles ils se font une obligation d'aller le Dimanche. D'où vient cette insatisfaction généralisée ? Elle vient de ce qu'il y a un gouffre entre la réforme liturgique - somme toute très modérée que voulait le concile Vatican II (qu'on veuille bien relire la Constitution Sacrosanctum Concilium) - et les habitudes - souvent mauvaises pour ne pas dire exécrables - qui ont été prises dans la quasi totalité des paroisses et dans bien des mouvements d'Eglise. Il suffit d'assister à une messe paroissiale (nous disons bien "assister", car dans bien des cas y "participer" conduirait à perdre la foi) pour constater que des pages entières du Missel romain actuel sont totalement ignorées…
C'est pour « extirper les abus » introduits dans les messes et corriger les déformations permanentes subies par la liturgie que le Cardinal Ratzinger avait, dit-on, parlé d'une souhaitable « réforme de la réforme » liturgique. Du coup, tout le monde a essayé de savoir à quoi pourrait bien ressembler cette « réforme de la réforme ». Chacun y est allé de ses supputations ou de ses souhaits pour tenter de prévoir en quoi elle pourrait consister. Pour les uns, elle marquerait un retour vers ce qui se faisait avant Vatican II. Pour les autres, elle consisterait à simplement à interdire les initiatives prises en pastorale liturgique ainsi que les adaptations de la liturgie à des assemblées particulières (communautés nouvelles, assemblées d'enfants... etc.). Pour d'autres enfin, la « réforme de la réforme » ne serait qu'un caprice de Benoît XVI, sans portée réelle. Plutôt que de se perdre en conjectures, ne vaudrait-il pas mieux demander à Benoît XVI lui-même ce qu'il entend par « réforme de la réforme » ? Qui est mieux placé que lui, en effet, pour nous répondre ? Selon ce que disait le Cardinal Ratzinger avant d'être élevé au pontificat suprême, il faut « retrouver l'unité dans la liturgie » en commençant par ne plus considérer la liturgie « comme l'affaire de la communauté locale » dans laquelle on « cherche à présenter nos inventions », mais comme un acte qui nous introduit « dans le coeur de l'Eglise » ou nous recevons ce que le Seigneur vient nous apporter. (Interview du Cardinal Ratzinger dans le "Deutsche Tagespost" du 4 octobre 2003). La « réforme de la réforme » doit donc commencer par une démarche de foi personnelle, et non pas des décrets venant de Rome et qui auront peu de chance d'être appliqués, comme on le sait. Une deuxième indication concernant cette "réforme" tellement souhaitée se trouve dans "L'Esprit de la liturgie" publié en 2001. Voici ce qu'écrit Joseph Ratzinger dans la préface : « A quoi pouvait ressembler la liturgie en 1918 ? (...) La liturgie, à ce moment-là, donnait l'apparence d'une fresque parfaitement préservée, mais presque entièrement recouverte de couches successives. (...) Grâce au "Mouvement liturgique", puis de façon plus nette lors du Concile Vatican II, la fresque fut dégagée, et pendant un instant, nous restâmes fascinés par la beauté de ses couleurs et de ses motifs (...) ». Nous lisons bien : "grâce au Concile Vatican II", la liturgie fut désencombrée et l'on resta fascinés par sa beauté. On ne saurait être plus clair : c'est la liturgie "désencombrée", c'est-à-dire telle que l'a "vraiment" voulue Vatican II, qui doit être mise en oeuvre. Ce qui est tout autre chose que les messes "ré-encombrées" et dénaturées qu'on impose aux fidèles en se prévalant du Concile qu'on tente à tout prix de "dépasser", c'est-à-dire de trahir (cf. J. Ratzinger, La célébration de la foi, 1981). Deux questions doivent alors être posées : premièrement, quelles ont pu être les raisons du "désencombrement" de la liturgie souhaité par l'Eglise ? Et deuxièmement, en quoi devrait consister ce "désencombrement" ? A la question "pourquoi a-t-il fallu désencombrer la liturgie", le Cardinal répond que des couches successives mises sur la liturgie au cours des siècles ne permettaient plus d'y distinguer l'essentiel. Et comme les fidèles ne distinguaient plus toujours l'essentiel, ils s'occupaient à des prières privées : « il faut admettre que la célébration de l'ancienne liturgie s'était trop égarée dans le domaine de l'individualisme et du privé, et que la communion entre prêtres et fidèles était insuffisante. J'ai un grand respect pour nos aïeux, qui disaient durant les messes basses les "prières pendant la messe" que leur livre de prières proposait, mais certainement on ne peut considérer cela comme l'idéal de la célébration liturgique. Peut-être, ces formes réduites de célébration sont-elles la raison profonde pour laquelle la disparition des livres liturgiques anciens n'a eu aucune importance dans beaucoup de pays et n'a causé aucune douleur ». (Cardinal Ratzinger, discours du 24 octobre 1998 pour le 10ème anniversaire du Motu proprio Ecclesia Dei adflicta). A la question "en quoi devrait consister le désencombrement souhaité", on peut répondre de façon simple qu'il devrait consister à ne plus faire durant les célébrations liturgiques que ce que le Concile a expressément demandé de faire, ni plus ni moins, et par conséquent à faire disparaître tout ce qui n'est qu'invention du célébrant ou d'une équipe liturgique ou encore d'une chorale, tout ce qui ne figure pas dans le Missel Romain.
Revenir à Vatican II, c'est :
1. Exiger du prêtre qu'il célèbre toujours la messe face à la Croix, pour bien exprimer que la liturgie s'adresse à Dieu et non aux fidèles.
2. Revenir à une harmonie entre la liturgie et l'art et, pour ce faire, supprimer tous les autels face au peuple aux formes diverses (tables, caisses, tréteaux, guéridons... etc.) qui sont une injure à la liturgie autant qu'à l'art véritable.
3. Se réhabituer à la participation à des messes célébrées face à l'Orient (ou face à l'abside).
4. Accorder la première place au chant grégorien qui est le chant de l'Eglise et non le chant d'un groupe de fidèles de l'Eglise. Le chant grégorien est le "chant propre de la liturgie romaine" (cf : Sacrosanctum Concilium) et n'a rien de comparable avec les cantiques d'une communauté qui souhaite se singulariser ou s'affirmer à travers un répertoire particulier.
5. Retrouver le sens des attitudes corporelles, notamment de l'agenouillement.
6. Retrouver le goût du silence et de tout ce qui peut y conduire.
7. Se réhabituer à la participation à des messes célébrées intégralement en latin (à l'exception des Lectures), et ce de façon régulière et non pas uniquement quelques fois dans l'année.
8. Supprimer de la célébration tous les commentaires, tous les mots d'accueil, tous les souhaits de bienvenue qui transforment la messe en un (mauvais) cours de catéchisme et qui font croire, à tort, qu'en liturgie tout doit toujours être compris et être ratifié par les fidèles pour être valide.
9. Interdire, durant les célébrations, l'accès au choeur des personnes qui se croient indispensables et dont la suffisance affichée est généralement inversement proportionnelle à la compétence (on pense tout particulièrement ici aux animateurs liturgiques qui ne font que parasiter la prière).
Ces quelques points, qui correspondent exactement à ce qu'a souhaité Vatican II, pourraient permettre de progressivement redonner aux fidèles un sens plus juste de la liturgie authentique. Les artistes, les intellectuels, les orthodoxes, les protestants, les traditionalistes, les authentiques "conciliaires"... tous critiquent la "nullité" des célébrations actuelles qui se veulent fidèles aux orientations de Vatican II alors qu'en réalité elles n'en sont qu'un odieux et grossier travestissement. Tous, nous devons donc nous engager dans le mouvement de "réforme de la réforme" de la liturgie souhaité par le pape Benoît XVI, car « dans notre rapport avec la liturgie se joue le destin de la foi et de l'Eglise » (Cardinal Ratzinger, Un chant nouveau pour le Seigneur).
Pro Liturgia