5 octobre 2009 1 05 /10 /octobre /2009 08:58

« A la racine de la crise liturgique se trouve une autre crise bien plus profonde et sournoise : la crise du concept d'Eglise. C'est là l'origine de nombreuses erreurs qui, en s'étant progressivement infiltrées dans nos pratiques liturgiques, mettent aujourd'hui en péril la conscience commune d'appartenance à l'Eglise catholique. La réalité "Eglise" n'est pas vraiment rejetée : elle s'efface peu à peu, disparaît chaque jour un peu plus... pour être remplacée par une nouvelle notion d'Eglise librement construite à partir des seules expériences humaines. Certes, l'Eglise catholique est faite de l'expérience des hommes. Mais elle n'est pas faite que de cela : derrière ces expériences se trouve une structure fondamentale voulue par Dieu. Derrière la façade humaine se trouve le mystère d'une réalité surhumaine sur laquelle le théologien, le sociologue, le philosophe, l'historien... n'ont aucune autorité pour intervenir. Si, par contre, l'Eglise est perçue comme une construction humaine, comme une œuvre qui ne dépend que de nous, alors on conçoit que les données de la foi puissent finir par n'être qu'arbitraire : car la foi n'a alors plus d'instrument garanti à travers elle puisse s'exprimer. L'évêque devient alors un super-manager de structures diocésaines toujours plus nombreuses et lourdes, le prêtre fait du social et du convivial, les laïcs s'immiscent dans des questions qui ne sont pas de leur ressort, la liturgie qui veut cristalliser de telles orientations doit se reconstruire sans cesse à partir de l'addition des goûts et des préjugés de quelques fidèles. Sans une vision de l'Eglise qui soit surnaturelle et pas seulement sociologique, la foi perd sa référence au Divin : pour combler le vide, l'absence de référence au Divin, on multiplie les structures purement humaines (équipes liturgiques, équipes de funérailles, équipes responsables des communautés de paroisses, équipes de catéchèse... etc.) qui donnent l'impression que les choses vont bien, mais finissent par insinuer dans la mentalité des gens que l'Eglise ne peut et ne doit fonctionner qu'à l'aide de projets humains. On oublie alors très vite qu'on entre dans l'Eglise et qu'on est dans l'Eglise non pas par le biais d'appartenances sociologiques ou parce qu'on milite dans tel mouvement paroissial, mais uniquement parce qu'on a été baptisé et que l'on participe à l'Eucharistie.

 

L'Eglise, en effet, ne se réduit ni au "collectif" des croyants, ni à leur engagement au sein de tel groupe ou de telle équipe : étant le Corps du Christ, elle est bien plus que l'addition du savoir-faire de ses membres. Pour sortir d'une crise profonde - dont la crise liturgique ne représente que la partie visible - il est urgent de recréer un climat authentiquement catholique. C'est-à-dire qu'il faut restaurer en nous, fidèles, le sens de l'Eglise en tant qu'Eglise du Seigneur, en tant que lieu de la présence réelle de Dieu dans le monde. Cette Eglise-là n'est pas "notre" Eglise, mais l'Eglise du Seigneur; sa façon de célébrer sa foi à travers la liturgie n'est pas "notre" façon de célébrer la foi, mais la sienne, celle qu'elle a reçu en héritage. "Nous ne devons pas faire des prières à la messe, mais faire de la messe notre prière", disait le pape Pie X. C'est la vision actuellement faussée que nous avons de l'Eglise qui nous mène à accepter de participer à ces liturgies paroissiales fausses où ne se pratique plus qu'une sorte d'idolâtrie du subjectif, d'hypertrophie du "moi" accentuée par le face-à-face célébrant-assemblée.

Si l'Eglise se réduit à n'être plus que "notre" Eglise, si notre regard ne porte plus que sur les structures mises en place dans les diocèses et les paroisses et les réunions qui s'y font, alors c'est la notion de "hiérarchie" qui devient incompréhensible : cette hiérarchie au service des baptisés liée à la présence de ministres ordonnés finit par être rejetée. On en vient à rapidement nier le concept d'une autorité de service voulue par Dieu, et l'on multiplie les structures chargées de prendre des décisions à la majorité des voix et où prennent de plus en plus de place de présomptueux "laïcs en responsabilité". Dès lors, l'Eglise n'est plus perçue que comme une association, comme un club devant fonctionner sur le système démocratique : chacun s'autorise à donner son avis avec généralement une véhémence inversement proportionnelle à la compétence. Or dans l'Eglise, l'autorité n'est pas fondée sur le vote à la majorité, mais sur l'autorité du Christ lui-même qui a voulu la communiquer à des hommes choisis pour être ses propres représentants jusqu'à son retour. Ce n'est qu'en se référant à cette vision qu'on pourra redécouvrir la nécessité et la fécondité de l'obéissance à la hiérarchie légitime de l'Eglise. Une obéissance qui pourra nous faire enfin comprendre pourquoi la liturgie, par laquelle l'Eglise célèbre et manifeste sa foi, ne se construit pas, ne se discute pas, mais se reçoit de ceux qui ont été chargés de la transmettre sans l'altérer arbitrairement ». 

 

Source : Cardinal J. Ratzinger, Entretien sur la foi, éd. Fayard, (chap. 3)

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