« Chers frères et sœurs, aujourd’hui c’est l’Epiphanie ou aussi la Théophanie. Nous fêtons la splendeur de Dieu dans notre pauvreté humaine, qui s’est offerte dans cet enfant de Bethléem. A Noël nous avons fêté la venue de Dieu à la dérobée et dans la discrétion. Aujourd’hui nous expérimentons sa venue dans la pleine lumière de sa splendeur. Le ciel donne son étoile qui éclaire les trois rois d’Orient ; la terre donne toute la puissance lumineuse de son feu et en maints lieux jusqu’à aujourd’hui, l'Église bénit le feu de l’Epiphanie.
1. La lumière brille dans les ténèbres et ainsi elle met les ténèbres en crise, c'est-à-dire dans l’alternative de la clarté ou de l’obscurité. Les Mages d’Orient se montrent au roi de Jérusalem et s’enquièrent du roi nouveau-né. Par cette question, ils mettent le roi de Jérusalem en crise c’est-à-dire dans l’alternative du bien ou du mal. Il sait qu’il n’y a qu’un roi en Israël. Ainsi sa juridiction se relativise. Sa souveraineté se restreint. C’est ce que de tous temps Dieu réserve aux puissants de cette terre : Il relativise leurs prétentions absolues et il circonscrit leur autorité. Et il ne le fait pas que pour les puissants de cette terre ; Il le fait pour tout un chacun des hommes. Et Il nous met en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Ma vie, mon cœur, mon corps ne m’appartiennent pas. C’est Sa propriété. Je ne peux pas disposer de ma propre vie et de la vie d’autrui. Je peux seulement la recevoir en L’en remerciant. C'est caractéristique : quand l’homme ne s’accepte ni relatif ni limité, il rate sa vie : en premier lieu Hérode qui fait tuer les enfants de Bethléem, ensuite entre autres Hitler et Staline, qui ont anéanti des millions de gens, et aujourd'hui, à notre époque, les enfants à naître sont tués par millions. L’avortement et l’euthanasie sont les conséquences de cette rébellion présomptueuse à l'égard de Dieu. Ce ne sont pas des questions sociales, mais théologiques. Ici le premier Commandement entre en jeu : « Tu n’auras aucun dieu étranger à côté de moi » c’est-à-dire tu ne dois pas faire de toi-même un dieu qui s’arroge le droit de disposer de son corps et de la vie d’autrui. « La lumière brille dans les ténèbres » (Jean 1,15) : ce n’est pas un événement ingénu. Soit je l’accueille et ensuite j’avance à sa lumière dans le monde, soit je me ferme à lui et je m’enfonce encore plus dans les ténèbres.
2. La lumière met les ténèbres en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Cet Enfant change nos critères. Les trois saints rois cherchent un roi et ils ne trouvent ni palais, ni dynastie, ni gardes armés – rien de cela mais beaucoup moins : une mauvaise maison, une famille simple, un petit enfant. Dans le « peu » de Dieu est toujours contenu le « plus ». « Ici il y a plus qu’Abraham » dira plus tard le Christ de lui-même. Ici il y a plus qu’Aristote, ici il y a plus que [César] Auguste. Dans l’Ecce Homo les trois rois ont vu l’Ecce Deus : dans l’homme Jésus ils ont vu le Fils de Dieu qui est apparu dans notre monde. Nous participons à sa Royauté comme le dit St Pierre : « vous êtes un sacerdoce royal » (1 P 2, 9). Il rejoint ce monde et ses éléments dans lesquels Il se plonge par son baptême dans l’eau du Jourdain. Ainsi toutes les eaux de ce monde ont été vraiment touchées de sa Présence et même lorsque les hommes sombrent dans les profondeurs des mers, ils tombent dans les mains de Dieu. Et les mains de Dieu sont toujours de bonnes mains. Le psalmiste le reconnaît clairement : « je prends les ailes de l’aurore et me pose au-delà des mers ; même là ta main me conduit, ta main droite me saisit » (Ps 139, 9-10) On comprend que devant le terrible raz de marée en Asie du sud est, beaucoup de gens posent la question : « Où Dieu restait-il ? » et nous devons répondre « en plein milieu » - « En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28) dit l’apôtre. Où était Dieu au Golgotha ? Il était en plein milieu, dans la souffrance, car Il devenait lui-même le souffrant. Nous savons nos frères et sœurs péris dans l’océan Indien dans les mains de Dieu, et les survivants, dans nos mains, qui s’ouvriront maintenant à leur détresse.
3. La lumière met les ténèbres en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Dieu se fait homme et maintenant il se laisse trouver par nous, en descendant au niveau humain de Dieu. C’est ce que nous montrent les trois Mages d’Orient qui se mettent à genoux devant l’Enfant pour L’adorer. Les scribes de Jérusalem ont pu leur donner le renseignement exact sur le lieu où le roi nouveau-né devait venir au monde mais eux-mêmes ne sont pas sortis, ne se sont pas mis à genoux, et ne L’ont pas adoré. Ce n’étaient que des savants, pas des hommes de Dieu comme le devinrent les trois Mages dans leur adoration. L’homme ne s’approche jamais tant de Dieu que lorsqu’il se prosterne devant Dieu et L’adore. L’adoration met en lumière que Dieu n’est pas considéré ni même déconsidéré comme un étranger et un être lointain parfaitement extérieur au monde, mais qu’Il est reconnu comme Père des hommes et des étoiles tout aussi bien que Père des plus petites choses de la terre, de chaque souffle, de chaque mouvement, de chaque petit fait. Tout est paternel pour ceux qui sont vraiment filiaux. Le Pape Jean Paul II a invité à Cologne les jeunes du monde entier aux JMJ du 16 au 21 août de cette année et il en a énoncé le thème en rapport avec les trois Rois de la cathédrale de Cologne : « Nous sommes venus pour L’adorer ». L’homme n’est jamais aussi grand que lorsqu’il descend au niveau du Dieu fait homme et L’adore. Alors l’homme grandit au-delà de lui-même et l’on peut dire avec Marie dans le Magnificat : « Dieu fit pour moi des merveilles, Saint est son Nom » (Luc 1,49). Nous nous réjouissons des jeunes pèlerins du monde entier qui viennent chez nous sur les traces des trois Rois saints. Et nous prions qu’ils reviennent de Cologne meilleurs que lorsqu’ils y seront arrivés et qu’ils nous laissent à Cologne meilleurs que lorsque nous les y aurons accueillis.
4. L’Epiphanie de Dieu corrige les chemins des hommes. Les trois Mages d’Orient ont regagné leur patrie par un autre chemin. Qui rencontre Dieu est toujours poussé à corriger ses chemins. « Vos chemins ne sont pas mes chemins » (Isaïe 55,8) dit Dieu, mais « vos chemins doivent devenir Mes chemins ! » « Vos pensées ne sont pas mes pensées » (Isaïe 55, 8), mais « vos pensées doivent devenir Mes pensées ! » - Voilà l’échéance de la conversion ! L’homme passe le temps de sa vie à aller de Dieu en correction, c’est quelqu’un qui a besoin d’une instruction pour le chemin et d’un motif qui le mette en mouvement. Mère Térésa partit comme directrice à Calcutta pour enseigner l’anglais et les mathématiques dans une grande école pour filles. Et Dieu a corrigé son chemin si bien qu’elle devint la Mère Térésa des mourants sur les trottoirs et la mère des enfants nouveaux-nés dans les poubelles. L’archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla, prit un avion polonais pour aller au conclave à Rome en 1978 et il a dû ranger son billet de retour puisqu’il fut choisi comme Pape. Je crois que presque tous les hommes pourraient dire : « Dans ma vie tout s’est passé autrement que ce que j’avais pensé. La veille de mon ordination sacerdotale j’ai donné à Dieu un chèque en blanc où j’ai écrit : « J’irai partout où Tu m’enverras » . Naturellement je pensais seulement aux trois régions de notre diocèse d’Erfurt. Et je ne pensais à rien d’autre. Dieu ne nous mène jamais nulle part mais près de Lui – comme les trois rois saints.
5. La lumière met les ténèbres en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Ou nous accueillons la lumière et nous devenons meilleurs ou nous nous fermons à elle et nous ratons une chance, et nous éclairons moins et nous devenons plus opaques. Cette heure nous met pareillement en crise c’est-à-dire devant la décision. Cela je le sais avec la certitude de la foi. Personne ne doit revenir de notre cathédrale comme il y est entré mais soit plus lumineux, soit plus sombre. L’Epiphanie n’est pas [une fête] bénigne mais une injonction à changer en positif. Demandons à Dieu qu’il nous accorde la grâce de ce jour : « la lumière brille dans les ténèbres » Et dans cette lumière nous L’avons reconnu si bien qu’avec les mages nous nous agenouillons devant Lui pour L’adorer et lui offrir nos présents. Amen.
+ Joachim, Cardinal Meisner Archevêque de Cologne, 6 janvier 2005