« Ignorants du jour et de l’heure, il faut que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous restions constamment vigilants pour mériter, quand s’achèvera le cours unique de notre vie terrestre, d’être admis avec Lui aux noces et comptés parmi les bénis de Dieu, au lieu d’être, comme de mauvais et paresseux serviteurs, écartés par l’ordre de Dieu vers le feu éternel, vers ces ténèbres du dehors où seront les pleurs et les grincements de dents ». D’où est tiré ce passage impressionnant ? De quelque vieux catéchisme diocésain ? Non, il est de Vatican II (Lumen Gentium N°48, cité par CEC N°1036). Mais l’homme moderne pense-t-il qu’il a besoin de salut ? N’est-il pas trop préoccupé de son confort, s’il est nanti, ou trop angoissé par ses problèmes matériels, s’il est dans la précarité, pour se poser la question ? Un virtuel chronophage, la subversion des pédagogies classiques du savoir, la surcharge d’informations, une complexité administrative proliférante, ne disposent guère à l’intériorité. La modernité a réussi à élever au rang de structure de péché le divertissement dont parlait Pascal : s’occuper à des choses prenantes ou se livrer à la tyrannie du plaisir, pour ne point penser à l’essentiel. La modernité, à l’inverse des fondateurs de la culture européenne, dont « l’être était tendu vers l’eschatologie » (Benoît XVI, Discours des Bernardins - Vidéo), étouffe le définitif sous le provisoire. Le problème existentiel de chacun demeure pourtant le même : notre mort est-elle un terme absolu ? Y-a-t-il une rétribution dans l’au-delà ? Ou bien sommes-nous des êtres irresponsables (et jamais jugés) et absurdes (aspirant au bonheur et voués au malheur) ? Un pesant silence s’abat sur ces questions. Il est de mauvais ton de les aborder en société. Le plus inquiètent, c’est qu’on a l’impression… qu’elles n’inquiètent plus ! La fin de la métaphysique, le vide d’une littérature et de beaux-arts privés de transcendance, l’envahissement de la technique au détriment de la fonction contemplative des sciences, fabriquent des humanoïdes isolés les uns des autres et prisonniers de l’instant. « L’homme est aliéné quand il est seul ou quand il se détache de la réalité, quand il renonce à penser et à croire en un Fondement » (Benoît XVI, Caritas in Veritate, N°53).
Cette absence d’appétence pour le salut est le grand obstacle à l’évangélisation, du côté de ceux à qui il faut adresser la Parole du salut. Mais du côté de ceux qui devraient évangéliser, « on parle rarement et peu des fins dernières », soulignait Paul VI en 1971. En 1989, le Cardinal Ratzinger constatait : « C’est à peine si la foi en la vie éternelle joue encore un rôle dans la prédication. La méfiance à l’égard du thème de l’au-delà est devenue générale ». Il suffit de participer à des obsèques pour constater que la situation n’a pas beaucoup évolué. On y entend des apologies des qualités du défunt, la liturgie baigne parfois dans l’ambiance festive d’une canonisation anticipée, plus rarement on invite… à la prière pour le défunt ! Les prédicateurs ne saisissent guère l’occasion (…) pour rappeler l’importance de l’état de grâce et le sérieux de la vie sanctionnée par le jugement et les rétributions éternelles. Ce silence a quelque chose de mystérieux. Comme si les pasteurs du Christ, et généralement les catholiques, étaient contaminés par le désespoir d’une société dépressive. La foi vive en ces grandes vérités s’est-elle perdue ? A-t-elle été vidée de sa substance par des théories (dénuées de fondement dans l’Ecriture et la Tradition) sur « l’enfer vide » ? Pense-t-on que, même si tout cela est vrai, la Vérité a peu d’importance pour le salut, l’essentiel étant la sincérité ? A-t-on désespéré de la capacité des hommes à entendre les fortes paroles de l’Evangile, et de la grâce du Saint-Esprit, qui incite à les recevoir ? Pourtant (les apôtres d’aujourd’hui le savent), leur destinée éternelle soucie secrètement les hommes. Les grandes questions les rejoignent souvent au cœur de l’épreuve. La triste cité moderne porte comme en creux un appel à l’éternité. (…) Loin de faire fuir les âmes, ces vérités attirent mystérieusement, comme le montre l’exemple du patron de tous les prêtres, le saint Curé d’Ars. (…).