26 février 2007
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UNICITE ET SUBSISTANCE DE L'EGLISE
Le Christ n’a fondé qu’une seule Église — son Église — sur Pierre et avec la garantie de l’indéfectibilité face aux persécutions, aux divisions, aux obstacles de tout genre qu’elle allait trouver tout au long de l’histoire (cf. Mt 16, 18). Il n’y a donc qu’une seule Église du Christ que nous confessons dans le Symbole, une, sainte, catholique et apostolique. Le concile Vatican II, au numéro 8 de la constitution dogmatique Lumen Gentium dit que « cette Église constituée et organisée en ce monde comme une société subsistit in (subsiste) dans l’Église catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques en communion avec lui, bien qu’en dehors de son organisme visible (licet) l’on puisse trouver de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui, étant les dons propres à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique ». Il est bien connu que cette célèbre expression — subsistit in — a été l’objet d’interprétations contradictoires. L’idée que le concile n’avait pas voulu faire sienne l’affirmation traditionnelle selon laquelle l’Église du Christ est (est) l’Église catholique, comme il était dit dans le schéma préparatoire a été et est toujours largement répandue jusqu’à en arriver à affirmer que l’Église du Christ subsisterait aussi dans les communautés chrétiennes séparées de Rome. En réalité, de l’analyse des Actes du Concile découle que l’expression « subsistit in » veut non seulement confirmer le sens du est, c’est-à-dire l’identité entre l’Église du Christ et l’Église catholique, mais qu’elle veut insister, surtout, sur le fait que l’Église du Christ, avec la plénitude de tous les moyens institués par Lui, persiste (continue, demeure) à tout jamais dans l’Église catholique ». Ce sens recoupe celui du langage commun de la culture occidentale et concorde avec celui de la philosophie classique d’Aristote à Saint Thomas : subsiste ce qui existe en soi et non pas en quelqu’un d’autre. « Subsistere est un cas spécial de esse. C’est l’être dans la forme d’un sujet qui existe en lui-même. C’est ce dont il s’agit précisément ici. Le Concile veut nous dire que l’Église de Jésus-Christ, comme sujet concret de ce monde, se trouve en l’Église catholique. Ceci ne peut arriver qu’une seule fois et l’on comprend bien que l’idée selon laquelle le subsistit pourrait se multiplier, méconnaît en réalité ce qui a voulu être dit. Avec le terme subsistit le Concile a voulu exprimer la singularité et non pas la multiplicité de l’Église catholique ». Au Concile, l’affirmation de la subsistance de l’Église du Christ dans l’Église catholique est accompagnée d’une autre affirmation célèbre sur la présence de nombreux éléments de sanctification et vérité propres à l’Église en dehors d’elle. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, face à des interprétations erronées sur cette question, s’est prononcée, en 1985, en ces termes : « Le Concile avait choisi le terme « subsistit » pour indiquer précisément qu’il n’existe qu’une seule subsistance de la vraie Église et, qu’en dehors de sa structure visible, il n’y a que des « elementa Ecclesiæ », qui, étant des éléments de l’Église elle-même, tendent vers l’Église catholique et y conduisent ». Plus récemment, la même Congrégation pour la Doctrine de la Foi a déclaré : « Est donc contraire au sens authentique du texte conciliaire l’interprétation de ceux qui tirent de la formule « subsistit in » la thèse selon laquelle la seule Église du Christ pourrait aussi subsister dans des Églises et des Communautés ecclésiales non catholiques ».
SUBSISTANCE, UNIVERSALITE ET PARTICULARITE
À partir du contexte et du sens du subsistit in du numéro 8 de la Lumen Gentium, il est évident que l’on attribue cette subsistance à l’Église universelle. Cependant, il est arrivé parfois que l’on applique aussi l’idée de « subsistance de l’Église » avec un sens différent, non plus univoque mais analogue, aux Églises particulières. Aussi, par exemple, Jean-Paul II a affirmé que dans les Églises particulières « subsiste la plénitude de l’Église universelle » ; ou bien que « l’Église catholique elle-même subsiste en chaque Église particulière ». En effet, la plénitude de l’Église universelle peut être attribuée à chaque Église particulière dans ce sens qu’en chacune d’elles « l’Église universelle est présente avec tous ses éléments essentiels » et que, par conséquent, elles sont faites « à l’image de l’Église universelle » ; et qu’en chacune d’elles « est réellement présente et agissante (inest et operatur) l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique ». Cette plénitude de l’Église particulière ne découle cependant pas de sa particularité, mais de la présence en elle de tous les éléments essentiels de l’ecclésialité, y compris le Primat du Successeur de Pierre et le Collège épiscopal. En effet, ces éléments, bien que n’ayant pas leur origine dans la particularité des Églises, appartiennent à l’essence de ces Église « de l’intérieur ». Pour qu’il y ait une telle plénitude, l’Église particulière doit être insérée dans l’universelle Communio Ecclesiarum qui, à son tour, n’est pas possible sans la communion avec le Siège de Rome et avec son Évêque. En tout cas, cette plénitude ecclésiale n’est pas suffisante pour attribuer à l’Église particulière la subsistance dans le sens de la Lumen gentium n. 8 parce que celle-ci comprend non seulement la présence de tous les éléments essentiels de l’Église du Christ mais aussi sa permanence indéfectible et qu’aucune Église particulière ne peut assurer une telle permanence. Les Églises particulières peuvent même disparaître et de fait nombre d’entre elles n’ont pas survécu au temps. C’est dans ce sens qu’il est plus précis de dire, comme le fait le texte du décret Christus Dominus, que dans l’Église particulière est présente et agissante (inest et operatur) l’Église du Christ ; ou bien que dans les Églises particulières existe (existit) l’Église universelle.
UNICITE DE L'EGLISE ET EXISTENCE D'EGLISES NON-CATHOLIQUES
Il est opportun de noter que la Lumen gentium numéro 8, lorsqu’elle affirme la subsistance de l’Église du Christ dans l’Église catholique, gouvernée par le Successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui (et, comme il a été dit, dans le sens que cela a lieu seulement en elle), se réfère explicitement à l’Église en tant que constituée et organisée comme société en ce monde, et, qu’immédiatement après, elle affirme qu’il y a, en dehors d’elle, de nombreux éléments de sanctification et de vérité. Ceci nous conduit à considérer l’Église non seulement dans sa dimension sociale, mais aussi dans sa dimension mystérico-sacramentelle, comme Corps Mystique du Christ. Le Concile Vatican II, se pliant à l’usage déjà traditionnel du terme, nomme Églises les communautés chrétiennes non catholiques qui ont gardé l’épiscopat et une Eucharistie valide. À propos du terme Église, attribué à ces communautés, durant l’élaboration du décret Unitatis redintegratio, l’un des rapporteurs de la commission conciliaire correspondante expliqua qu’on n’avait pas voulu débattre sur la question des conditions requises pour qu’une communauté chrétienne soit théologiquement considérée Église. Ceci porterait à croire qu’on n’ait voulu attribuer qu’un sens sociologique ou plutôt honorifique à ce terme appliqué aux communautés chrétiennes non catholiques. En réalité, ce n’est pas vraisemblable, puisque le décret sur l’œcuménisme lui-même — sans exprimer toutes les conditions requises pour être une Église — affirme que c’est « par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur en chaque Église particulière que l’Église de Dieu s’édifie et grandit ». Il faut interpréter cette expression à la lumière de Lumen gentium, c’est-à-dire, dans le sens que dans ces Églises il y a de nombreux éléments de sanctification et de vérité propres à l’unique Église du Christ (l’Église catholique). Les développements doctrinaux et magistériels de ce sujet sont arrivés à attribuer aux communautés chrétiennes non catholiques qui ont conservé l’épiscopat et l’Eucharistie le titre, d’évidente nature théologique, d’Églises particulières. Du point de vue du magistère, les prises de position les plus importantes ont été deux interventions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : la lettre Communionis notio, de 1992, qui affirme que ces communautés « méritent […] le titre d’Églises particulières » ; et la déclaration Dominus Iesus, de l’an 2000, qui affirme qu’elles sont « de vraies Églises particulières ». L’on comprend aisément que là où le Christ se rend présent par le sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang, là est présente l’Église, Corps du Christ, moyennant laquelle Il œuvre le salut dans l’histoire. Cependant, pas toute forme de présence agissante de l’Église ne constitue une Église particulière, mais seulement celle qui en a tous les éléments essentiels. Par conséquent, pour qu’une communauté chrétienne soit vraiment une Église particulière « la suprême autorité de l’Église doit être présente en elle comme un élément propre : le Collège épiscopal « avec sa Tête, le Pontife Romain, et jamais sans elle » (Lumen gentium, 22) ». Cela peut sembler un obstacle insurmontable pour pouvoir affirmer que les Églises non catholiques sont « de vraies Églises particulières » et on a certainement encore beaucoup à approfondir sur ce sujet. Cependant, une possible voie de réflexion mène à considérer la présence réelle du primat pétrinien (et du Collège épiscopal) dans les Églises non catholiques, sur la base de l’unité de l’épiscopat, « un et indivis » ; une unité qui ne peut exister sans la communion avec l’évêque de Rome. Là où en vertu de la succession apostolique il y a un épiscopat valide, là se trouve objectivement présent, comme autorité suprême, bien qu’il ne soit pas reconnu de fait, le Collège épiscopal avec sa Tête. De plus, à chaque célébration valide de l’Eucharistie il y a une référence objective à la communion universelle avec le Successeur de Pierre et avec toute l’Église, et ce, indépendamment des convictions subjectives. Dans ce sens, on pourrait approfondir la compréhension du fait que, bien que séparées de Rome, ces communautés chrétiennes sont de « vraies Églises particulières ». Nonobstant, il faut rappeler que le manque de pleine communion avec le Pape est une blessure dans l’ecclésialité de ces Églises ; blessure qui n’est pas seulement de nature disciplinaire ou canonique, mais aussi relative au manque de plénitude dans la profession de la foi catholique. Par conséquent, pour être pleinement Église, une Église particulière non catholique ne manque que de la manifestation visible (au sens extérieur) de la pleine communion chrétienne. Finalement, il faut revenir à la donnée de foi sur l’unicité de l’unique Église du Christ, pour ne pas omettre un autre aspect d’une importance capitale : les Églises particulières non catholiques sont de véritables Églises à cause de ce qu’elles ont de catholique. L’ecclésialité de ces Églises s’appuie sur ce que « il y a une présence active de l’Église du Christ en elles » ; et qu’elles ne sont pas pleinement Églises — leur ecclésialité est blessée — parce qu’elles sont dépourvues d’éléments propres à l’Église catholique. Autrement dit, reconnaître le caractère d’Églises aux communautés qui ne sont pas en pleine communion avec l’Église catholique entraîne nécessairement que l’on dise, tout paradoxal que cela puisse paraître, que ces Églises sont aussi des portions de l’unique Église, c’est-à-dire, de l’Église catholique ; des portions en situation théologique et canonique anormale. On pourrait exprimer cela autrement en disant que leur ecclésialité est une « ecclésialité participée, selon une présence imparfaite et limitée de l’Église du Christ ». L’importance œcuménique de ces sujets ecclésiologiques est évidente. En une large mesure, ils sont encore à préciser et à approfondir. Cependant, l’engagement œcuménique auquel l’Église ne peut ni ne veut renoncer, ne se limite pas aux aspects doctrinaux. « Ce qui est plus urgent encore, est la "purification de la mémoire", tant de fois évoquée par Jean-Paul II, qui seule peut disposer les âmes à accueillir la pleine vérité du Christ ». Il y a encore des obstacles, c’est certain, mais l’espace pour la prière, l’action de grâces, le dialogue et l’espérance dans l’action du Saint-Esprit est toujours ouvert.