« Enfin le beau jour entre tous les jours de la vie se leva pour moi ! Quels ineffables souvenirs laissèrent dans mon âme les moindres détails de ces heures du ciel ! Le joyeux réveil de l'aurore, les baisers respectueux et tendres des maîtresses et des grandes compagnes, la chambre de toilette remplie de flocons neigeux, dont chaque enfant se voyait revêtue à son tour; surtout l'entrée à la chapelle et le chant du cantique matinal : O saint autel qu'environnent les anges ! Mais je ne veux pas et ne pourrais pas tout dire... Il est de ces choses qui perdent leur parfum dès qu'elles sont exposées à l'air ; il est des pensées intimes qui ne peuvent se traduire dans le langage de la terre, sans perdre aussitôt leur sens profond et céleste ! Ah ! qu'il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme ! Oui, ce fut un baiser d'amour ! Je me sentais aimée, et je disais aussi : « Je vous aime, je me donne à vous pour toujours ! » Jésus ne me fit aucune demande, il ne réclama aucun sacrifice. Depuis longtemps déjà, lui et la petite Thérèse s'étaient regardés et compris... Ce jour-là, notre rencontre ne pouvait plus s'appeler un simple regard, mais une fusion. Nous n'étions plus deux : Thérèse avait disparu comme la goutte d'eau qui se perd au sein de l'océan, Jésus restait seul; il était le Maître, le Roi ! Thérèse ne lui avait-elle pas demandé de lui ôter sa liberté ? Cette liberté lui faisait peur; elle se sentait si faible, si fragile, que pour jamais elle voulait s'unir à la Force divine. Et voici que sa joie devint si grande, si profonde, qu'elle ne put la contenir. Bientôt des larmes délicieuses l'inondèrent, au grand étonnement de ses compagnes qui, plus tard, se disaient l'une à l'autre : « Pourquoi donc a-t-elle pleuré ? N'avait-elle pas une inquiétude de conscience ? - Non, c'était plutôt de ne pas avoir près d'elle sa mère ou sa sœur carmélite qu'elle aime tant ! ». Et personne ne comprenait que toute la joie du ciel venant dans un cœur, ce cœur exilé, faible et mortel, ne peut la supporter sans répandre des larmes... Comment l'absence de ma mère m'aurait-elle fait de la peine le jour de ma première communion ? Puisque le ciel habitait dans mon âme : en recevant la visite de Jésus, je recevais aussi celle de ma mère chérie... Je ne pleurais pas davantage l'absence de Pauline; nous étions plus unies que jamais ! Non, je le répète, la joie seule, ineffable, profonde, remplissait mon cœur.
L'après-midi, je prononçai au nom de mes compagnes l'acte de Consécration à la Sainte Vierge. Mes maîtresses me choisirent sans doute, parce que j'avais été privée bien jeune de ma mère de la terre. Ah ! je mis tout mon cœur à me consacrer à la Vierge Marie, à lui demander de veiller sur moi ! Il me semble qu'elle regarda sa petite fleur avec amour et lui sourit encore. Je me souvenais de son visible sourire qui m'avait autrefois guérie et délivrée ; je savais bien ce que je lui devais ! Elle-même, le matin de ce 8 mai, n'était-elle pas venue déposer dans le calice de mon âme, son Jésus, la Fleur des champs et le Lis des vallées ! Au soir de ce beau jour, papa, prenant la main de sa petite reine, se dirigea vers le Carmel ; et je vis ma Pauline devenue l'épouse de Jésus : je la vis avec son voile blanc comme le mien et sa couronne de roses. Ma joie fut sans amertume ; j'espérais la rejoindre bientôt, et attendre à ses côtés le ciel... Je ne fus pas insensible à la fête de famille préparée aux Buissonnets. La jolie montre que me donna mon cher petit père me fit un grand plaisir; et cependant mon bonheur était tranquille, rien ne pouvait troubler ma paix intime. Enfin, la nuit termina ce beau soir; car les jours les plus radieux sont suivis de ténèbres : seul, le jour de la première, de l'éternelle communion de la patrie sera sans couchant !
Le lendemain fut couvert à mes yeux d'un certain voile de mélancolie. Les belles toilettes, les cadeaux que j'avais reçus ne remplissaient pas mon cœur ! Jésus seul désormais pouvait me contenter, et je ne soupirais qu'après le moment bienheureux où je le recevrais une seconde fois. Je fis cette seconde communion le jour de l'Ascension, et j'eus le bonheur de m'agenouiller à la Table sainte entre papa et ma bien-aimée Marie. Mes larmes coulèrent encore avec une ineffable douceur ; je me rappelais et me répétais sans cesse les paroles de Saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi ! » Depuis cette seconde visite de Notre-Seigneur, je n'aspirais plus qu'à le recevoir, ce qui me fut permis à toutes les principales fêtes. Hélas ! les fêtes alors me paraissaient bien éloignées ! La veille de ces heureux jours, Marie me préparait comme elle l'avait fait pour ma première communion ».
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus - Histoire d’une âme, chapitre IV
Lien : Acte de consécration à la Bienheureuse Vierge Marie à l’occasion de la communion solennelle