"Participation" semble être devenu le maître-mot de tout ceux qui, depuis le concile Vatican II, s'intéressent de près ou de loin à la Liturgie. Qu'on le veuille ou non, il faut "participer" ! Or, malgré les efforts louables qui ont été faits partout pour obtenir une participation plus grande aux rites liturgiques, les résultats obtenus paraissent souvent inégaux, éphémères, et parfois même ambigus en ce sens qu'ils conduisent à une déformation de la Liturgie de l'Eglise. Pour mieux comprendre le problème posé par l'idée de "participation", il faut partir de la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium de Vatican II.
Dans le texte de cette Constitution, nous découvrons un encouragement à la participation "consciente, active et fructueuse" des fidèles à la liturgie. Ce sont ces trois qualificatifs qui ont souvent été retenus par les clercs et les laïcs préoccupés par la pastorale. Malheureusement, ceux-ci n'ont pas toujours bénéficié des explications qui leur auraient été nécessaires pour ne pas se lancer, tête baissée, au nom de la "participation", dans un activisme souvent aussi déplacé que stérile. Il conviendrait avant toute chose de bien savoir ce que recouvre l'idée de "participation active". Le texte conciliaire original, en latin, emploie ici le mot "actuose" que les traducteurs ont simplement rendu par le mot français "actif / active". En fait, il aurait sûrement mieux valu traduire par "participation effective" ou encore "participation véritable". Car ce que le Concile demande au fidèle, c'est qu'il fasse réellement un effort pour ne pas demeurer étranger au rite liturgique; qu'il participe à l'action sacrée avec entrain, enthousiasme et bonne volonté, qu'il accomplisse le rite avec un sentiment qui soit le contraire de la froideur et de la désinvolture. L'agitation que l'on observe au cours de certaines célébrations liturgiques ou l'affairement de certaines personnes autour de l'autel ou de l'ambon, est donc contraire à la véritable "participation active", telle que l'entend l'Eglise. La véritable participation - qui est sûrement la plus fructueuse - est d'abord intérieure : elle conduit à s'accorder, par un effort personnel, aux rites liturgiques, afin que ceux-ci ne soient pas des gestes vides, mais qu'ils deviennent le reflet de l'assentiment intérieur que les fidèles portent au culte rendu publiquement à Dieu par toute l'Eglise unie au Christ.
Au cours d'une audience général, le pape Paul VI a clairement expliqué en quoi consiste la véritable participation à la liturgie souhaitée par le Concile : « Notre Mère l'Eglise désire vivement que tous les fidèles soient acheminés vers une participation plénière, consciente et active aux actes liturgiques, telle que la demande la nature même de la liturgie, et selon le droit et le devoir qui appartiennent en vertu du baptême au peuple chrétien "race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté" (1P 2, 9). Deux observations en découlent, très chers fils, que nous confions à votre réflexion. La première concerne les caractéristiques de la participation liturgique, tellement recommandée par le Concile. En premier lieu, la participation doit être consciente, ce qui suffirait pour révéler le caractère humain de la religion que l'Eglise inculque à ses fidèles (...) Puis elle doit être active et personnelle, c'est un second caractère et, en troisième lieu, elle doit être communautaire. Désormais, nous savons cela. Nous dirons encore avec Jésus : "sachant cela, heureux êtes-vous si vous le faites ! Si haec scitis, beati eritis si feceritis ea" (Jn 13, 7). Les fidèles remplissent leur fonction liturgique par cette participation pleine, consciente et active que leur demande la nature de la liturgie elle-même, et qui est pour le peuple chrétien, en vertu de son baptême, un droit et un devoir. Cette participation doit d'abord être intérieure en ce sens que, par elle, les fidèles s'unissent d'esprit à ce qu'ils prononcent ou entendent, et qu'ils coopèrent à la grâce d'en-haut. Mais la participation doit aussi être extérieure, c'est-à-dire que la participation intérieure s'exprime par les gestes et les attitudes corporelles, par les acclamations, les réponses et le chant. On doit aussi éduquer les fidèles à s'unir intérieurement à ce que chantent les ministres ou la chorale, pour élever leur esprit vers Dieu en les écoutant." (Allocution à l'audience générale du 6 avril 1966). Comme on le voit, c'est la participation intérieure qui doit demeurer première car c'est elle qui doit informer la participation extérieure, celle qui est qualifiée d' "active".
Dans son ouvrage sur "Le mystère du culte dans le christianisme" (Ed. du cerf, Paris, 1983), Dom Odon Casel met en garde contre une participation "active" qui, n'ayant pas sa source dans la participation "intérieure", se transformerait en pur activisme : « le mouvement liturgique contemporain s'est peut-être préoccupé trop uniquement des formes communautaires et a cru être liturgique parce que, extérieurement, il mettait les hommes en contact plus étroit avec l'autel. Or, il y a là un danger certain, celui de croire qu'on a trouvé la substance quand on ne possède que la forme extérieure ». Si l'on se contente, en effet, de ne rechercher qu'une participation extérieure, "active" au mauvais sens du terme, on risque de ne toucher chez le fidèle que ce qui est superficiel. Le superficiel réagit sans doute plus rapidement, mais ne laisse pas de traces profondes dans le domaine de la foi. La participation intérieure, celle qui induit et informe les autres modes de participation, est obtenue grâce à une méthode d'enseignement intuitif qui est propre à la liturgie. Celle-ci consiste à donner à ce qui est abstrait une présentation concrète. Ainsi, pour inculquer une idée, la liturgique utilisera-t-elle, à travers le rite, une réalité concrète et matérielle; par la suite, la seule vue ou la seule évocation de cette réalité permettra de faire naître l'idée de base, soit de façon conventionnelle, soit de façon naturelle. Cette méthode intuitive utilisée par la liturgie est sûrement celle qui convient le mieux à la nature humaine. C'est même, pourrait-on dire, la méthode pédagogique que Dieu lui-même a utilisée pour nous révéler son existence et nous enseigner quels sont ses attributs. Une telle méthode a l'avantage certain d'être à la fois rapide, agréable et efficace à cause des images qu'elle grave profondément dans la mémoire et l'imagination, images qui sont étroitement liées à la valeur d'un enseignement doctrinal sûr et qui refait surface pour se présenter à l'esprit des fidèles toutes les fois qu'on y fait appel. La participation "active" demandée par Vatican II n'est donc en aucun cas proportionnelle à l'agitation ou au bruit que l'on fait au cours d'une célébration, mais à la sincérité avec laquelle on accomplit ce que l'Eglise demande que nous fassions lorsque nous célébrons les mystères. Voilà pourquoi il est nécessaire d'acquérir, par une catéchèse adéquate, une réelle connaissance de la vie liturgique de l'Eglise, afin de pouvoir toujours mieux en saisir la cohésion et l'intelligence interne qui lui garantissent sa richesse inépuisable. Pénétrer la sacralité de la liturgie : voilà le premier effort à faire, non seulement de la part des fidèles laïcs, mais surtout de la part des célébrants. C'est là que se trouve la clé d'une participation véritablement "active".
Pro Liturgia