« Puis il monta dans la barque, suivi de ses disciples. Et voici qu'une grande agitation se fit dans la mer, au point que la barque était couverte par les vagues. Lui cependant dormait. S'étant approchés, ils le réveillèrent en disant : « Au secours, Seigneur, nous périssons ! ». Il leur dit : « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? » Alors, s'étant levé, il menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme. Saisis d'étonnement, les hommes se dirent alors : « Quel est celui-ci, que même les vents et la mer lui obéissent ? » (Matthieu 8, 23-27). Dans l’Evangile, il y a le rappel continu de Jésus aux Apôtres et à ceux qui veulent le suivre, à avoir la foi en Lui, à ne pas céder à la tentation – la plus insidieuse pour tout croyant – de douter de sa Toute-Puissance. C’est par la foi en Dieu que nous sommes sauvés, justifiés (cf. Romains 3, 28) ; c’est pourquoi la foi est si importante et centrale dans l’enseignement de Jésus : « Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l’obtiendrez » (Matthieu 21, 22). Et l’on peut très bien comprendre la question du Seigneur : « Quand le Fils de l’Homme viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? » (Luc 18, 8).
En théorie, nous pouvons dire, avec une certaine facilité, que nous avons la foi dans le Seigneur, que nous nous abandonnons au dessein de sa Divine Providence ; mais quand, dans la pratique, les choses ne vont pas comme nous les avions désirées, prévues ou programmées, alors, continuer à avoir la foi en Jésus est seulement possible si on Lui fait le don de toute notre propre être. C’est ce que nous rappelle le Saint-Père : « La foi ne doit pas rester une théorie : elle doit être vie » (Benoît XVI, homélie du 29 juin 2009). On pourrait dire que l’acte de foi, l’acte de foi le plus profond en Lui, est vraiment tel quand il apporte avec soi le don total de nous-mêmes : « en nous expropriant » de notre « moi », nous en faisons un don à Dieu, jusqu’à ce que les mille et une préoccupations de la vie ne se mettent plus comme obstacle entre nous et Lui. L’épisode des Apôtres, bouleversés par la tempête, dans la barque remplie d’eau et qui coule, est emblématique et toujours riche de significations actuelles pour notre vie de foi. Dans cette « barque » les Apôtres, expérimentent, dans la pratique, que leur existence est en jeu, suspendue entre la vie et la mort, entre le salut et la débâcle totale. Mais Jésus dort ! Au moment précisément du besoin le plus grand de son intervention, il se produit, de manière inexplicable, qu’il est en train de dormir. Devant cette situation, la foi des Apôtres et la nôtre sont mises à dure épreuve. L’épreuve de foi se manifeste quand quelque chose, à quoi nous tenons beaucoup, est perdu ; le « terrain » cède à l’improviste sous nos pieds ; les attentes sont déçues ; les événements jouent contre nous ; la maladie ou la mort se présentent… Tout cela , quand cela se produit, nous dit clairement que c’est le moment de l’épreuve, et que le Seigneur, donc, est en train de « passer » dans notre vie pour nous demander une foi plus profonde, en nous répétant à nous aussi : « Ne crains pas, continue seulement à avoir la foi » (Marc 5, 36). Même si, à nos yeux, il est en train de dormir, Il est là, au milieu de l’épreuve, dans notre barque elle-même en proie aux vagues. Ces vagues lui servent pour faire « sursauter » notre peu de foi, qui s’est probablement endormie, ou qui court le risque de s’endormir. Ce n’est pas Lui, alors, qui dort, c’est nous qui nous endormons s’Il ne nous tient pas éveillés ! Quand l’épreuve est intense, comme pour les Apôtres dans la barque, alors, avec l’occasion précieuse pour « vérifier » si notre foi est théorique ou pratique, est alors offert un défi pour une foi non conditionnée et tournée vers les résultats terrestres, mais toute centrée dans le Seigneur. Ce Jésus qui dort, c’est-à-dire qui n’intervient pas en notre faveur – c’est au moins comme cela que nous le ressentons au moment de l’épreuve – c’est comme s’il nous défiait, avec bienveillance, pour nous aider à parvenir à une foi qui se nourrisse seulement de confiance dans son Amour. Comme un Papa qui défie son propre enfant pour lui demander de se fier aveuglément en lui. En effet, c’est seulement dans la foi « aveugle », c’est-à-dire dans l’abandon total à Jésus, que se produisent dans la vie les plus grands miracles, qui ne sont pas ceux de nature matérielle mais spirituelle : ils provoquent dans l’âme une vraie conversion, un élan vers les choses éternelles, divines, en laissant le cœur dans une sainte indifférence pour tout le reste qui, en revanche, passe. Une telle foi a fait dire à Sainte Thérèse de Jésus : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie. Tout passe, Dieu ne change pas. La patience obtient tout. Celui qui a Dieu ne manque de rien. Dieu seul suffit » (Poésie, 90). On ne peut affirmer que « Dieu seul suffit » que lorsque l’on est capable de traverser l’épreuve en attendant tout de Dieu, sans rien lui demander, sans le réprimander en aucune manière. Il faut le laisser libre d’agir comme quand il veut, s’il le veut, et avec ses temps qui ne sont pas les nôtres. Sainte Thérèse d’Avila qui connaissait bien les « temps » de cette action divine, a déclaré très justement que « la patience obtient tout ». Certes, nous ne faisons pas belle figure à réveiller brusquement Jésus, comme l’ont fait les Apôtres en proie à la peur qui venait du doute, ou à le réprimander comme l’a fait Marthe, toute prise par les préoccupations : « Seigneur, tu ne te soucies pas que ma sœur m’a laissée seule à te servir ? Dis-lui donc qu’elle m’aide » (Luc 10, 40). Marthe, comme nous arrive à nous aussi, reproche à Jésus le fait qu’il n’intervient pas en sa faveur, qu’il ne fait pas tout ce qu’elle croit être juste en ce moment précis.
Pendant l’Année Sacerdotale, où le Curé d’Ars est proclamé comme exemple pour nous tous, prêtres, la vie de foi du Ministre Sacré peut se renforcer sur le modèle des Saints, à partir du modèle incomparable de la Vierge Marie. A cette école, on apprend à « laisser faire Dieu », à ne rien mettre avant Lui, en cherchant seulement sa Volonté qui est souvent mystérieuse, mais qui, infailliblement, se réalise pour tous ceux qui, avec une foi solide, ne veulent rien Lui refuser et lui donnent « carte blanche ». Sur une feuille blanche, toujours purifiée par les Sacrements de la Réconciliation et de l’Eucharistie, par la vie de prière et de charité, le Seigneur peut écrire ce qu’Il veut, même si, comme on dit, Il écrit droit sur des lignes courbes ! Faisons en sorte de pouvoir toujours dire à Jésus, en toute honnêteté : « Sonde-moi, ô Dieu, connais mon cœur, scrute-moi, connais mon souci ; vois que mon chemin ne soit pas fatal ; conduis-moi sur une voie d’éternité » (Psaume 139 [138], 23-24).