Les fidèles défenseurs de ce qu’ils considèrent comme étant « la tradition » connaissent bien l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault (Indre). Après avoir été occupée par des trappistes, ce splendide ensemble conventuel situé au bord de la Creuse fut restauré en 1948 par des moines bénédictins venus de Solesmes. Après avoir accepté la liturgie restaurée à la suite de Vatican II - dans le cadre d’une obéissance toute "solesmienne" au Siège apostolique -, les moines de Fontgombault reprirent au cours des années 1970 l’Ordo missae tridentin, ce qui fit de ce monastère un point de référence pour tous les fidèles "traditionalistes" attachés à ce qu’ils nomment (à tort du point de vue historique) la « messe de toujours ».
Dans le désarroi des « années de plomb » de l’immédiat après-concile, les vocations affluèrent à Fontgombault au point que rapidement il fut question d’envisager une fondation. En dépit des oppositions, de tracts ou de propos souvent calomnieux, dès 1972 un groupe de moines de cette abbaye fonda le monastère de Notre-Dame de Randol, étonnante construction moderne à flanc de montagne, dans le diocèse de Clermont-Ferrand. Les postulants continuant à se présenter, un autre groupe de moines également venus de Fontgombault construisit à partir de 1985 une grande église jouxtant le château de Triors dans la Drôme. Les vocations ne tarissant toujours pas, les bénédictins de Fontgombault fondèrent un nouveau monastère à Donezan dans les Pyrénées. Actuellement, ils construisent une abbaye à Clear Creak, aux Etats-Unis, où de nombreux postulants, provenant d’Amérique cette fois-ci, n’hésitent pas à frapper aux portes de cette nouvelle fondation. L’expansion de l’abbaye de Fontgombault, phénomène plutôt rare dans l’Eglise post-conciliaire, serait la preuve, selon certains, que le rite tridentin conservé par les bénédictins est « béni de Dieu » puisqu’il fait naître les vocations. Les détracteurs de la pastorale traditionnelle tout comme les partisans acharnés des innovations continuelles en liturgie parleront plutôt d’un "refuge de l’intégrisme" où des jeunes désorientés ou opposés au Concile, voire "fragiles", trouvent une certaine sécurité dans la beauté d’un rite qualifié de "traditionnel" ou considéré comme tel. Les uns comme les autres semblent ignorer que les moines des quatre abbayes fondées par Fontgombault ne se servent pas du missel dit « de Saint Pie V » utilisé par tous les prêtres "traditionalistes", et dont la dernière version a été approuvée par Jean XXIII en 1962. A la messe conventuelle, les bénédictins célèbrent selon l’Ordo missae de 1965. Les liturgistes eux-mêmes ont souvent oublié que le pape Paul VI publia un nouvel Ordo cette année-là (lequel Ordo fut très bien accueilli par Mgr Lefebvre). Certes, les simplifications qu’il présentait étaient minimes par rapport à la messe purement "tridentine", mais elles méritent d’être rappelées. Ainsi, l’Ordo de 1965 reprenait-il l’antique proclamation des intentions de prière avant l’offertoire (prières universelles), supprimait une partie des « prières au bas de l’autel » ainsi que le « dernier Evangile » (Prologue de S. Jean), et prévoyait que ce qui était chanté par la schola ou l’assemblée ne soit pas redit en privé par le célébrant. Quant au Pater noster, il était chanté par toute l’assemblée avec le célébrant, pratique qui se faisait depuis plusieurs années déjà dans les paroisses et que l’on trouve aujourd’hui même chez certains inconditionnels de la pure « forme extraordinaire » du rite romain. Mais surtout, l’Ordo de 1965 restaurait le rituel de la concélébration qui avait été abandonné au cours du Moyen-Âge.
La concélébration, comme on sait, n’est pas utilisée dans la forme « extraordinaire » du rite romain revendiquée par les inconditionnels de la liturgie purement tridentine ou considérée telle [sauf pour des "cas" exceptionnels, NDLR]. Cependant, les choses pourraient bien se présenter de façon différente dans un avenir plus ou moins proche. En effet : le vendredi 7 octobre 2011, près d’un millier de fidèles était réuni dans l’église abbatiale de Fontgombault pour la bénédiction du nouveau Père Abbé succédant au T.R.P. Dom Forgeot qui avait résilié sa charge après 34 années d’abbatiat. Mgr Maillard, Archevêque de Bourges, avait accepté de remettre la mitre et la crosse au T.R.P. Dom Plateau, le nouvel Abbé. A cette occasion, Mgr Maillard a concélébré avec cinq autres évêques ainsi que plusieurs pères abbés… selon la forme de la liturgie romaine définie par l’Ordo de 1965. La messe était dite à haute voix, contrairement à ce qui se fait d’habitude dans la forme « extraordinaire » stricto sensu du rite romain. Les participants à cette célébration n’ont pas été sans remarquer un autre détail, vestimentaire celui-là, mais significatif. Nombreux furent ceux, en effet, qui surent apprécier la « noble simplicité » des vêtements liturgiques que portaient les ministres de l’autel : prêtres, diacres, sous-diacres… Quel contraste avec l’accumulation de broderies des ornements liturgiques trop souvent utilisés dans les messes « traditionnelles » de paroisses et dont le "kitsch" évoque plus facilement le goût du rococo finissant - voire le style sulpicien – que celui de l’authentique tradition liturgique. Ce jour-là, à Fontgombault, pour le nombreux clergé présent, latin mais aussi oriental, la liturgie n’était plus un signe d’affrontement. Un fidèle peu informé aurait même eu de la peine à distinguer, à plusieurs reprises au cours de la célébration, cette variante de la forme « extraordinaire » de la forme « ordinaire » du rite romain, donnant ainsi raison au Cardinal Ratzinger qui soulignait, dans une conférence faite à l’occasion du 10e anniversaire du Motu proprio Ecclesia Dei qu’ « un chrétien moyen sans formation liturgique spéciale a du mal à distinguer une messe chantée en latin selon l’ancien Missel d'une messe chantée en latin selon le nouveau Missel. »
On peut espérer que c’est par le biais de telles « expériences » liturgiques, semblables en tout point à celle qui a eu lieu récemment à la paroisse de Villars-les-Dombes où officiait le T.R. Père Abbé du Barroux, que s’engagera le mouvement tant attendu de la « réforme de la réforme » de la liturgie. Mouvement qui se situera au-dessus de ces antagonismes stériles qui divisent aujourd’hui encore, dans bien des paroisses, ceux qui veulent vivre le Concile hors de la Tradition et ceux qui pensent pouvoir conserver la Tradition en la mettant en marge de la vie ecclésiale dont le Concile est une composante. Le mouvement de la « réforme de la réforme » de la liturgie est incontestablement en marche : il germe dans les monastères au rythme de la prière contemplative ; il fleurira dans les paroisses où un prêtre aura su comprendre que la liturgie monastique, loin de l'agitation, est une grande école dont il convient de s’inspirer pour élever les âmes vers Dieu !
Pro Liturgia