En regard des grandes manifestations aux JMJ de Rio qui ont fait couler beaucoup d’encre, il est bon de relire quelques lignes d’une étude toujours disponible sur le site internet du Vatican. Elles permettent de s’interroger sur les risques d’une présentation de l’Eglise catholique où l’accent serait mis sur des « spiritualités » au détriment de la « foi » et où Dieu serait remplacé par une sorte « d’énergie transpersonnelle » ou de « ressenti collectif » tel qu’on le trouve dans les communautés pentecôtistes. Les communautés pentecôtistes (qui attirent certains catholiques) proposent des spiritualités qui remportent un réel succès en présentant comme inspirées de l’Evangile la liberté, l’authenticité, l’indépendance et bien d’autres valeurs du même ordre. De telles spiritualités, qui conviennent plus particulièrement à ceux qui ont des problèmes avec l’Eglise en tant qu’institution, conduisent cependant à adopter une religiosité visant à procurer un certain bien-être, mais qui « ne demande pas plus de foi qu’il n’en faut pour aller au cinéma ».
Ces spiritualités, faciles, joyeuses, conviviales, qui plaisent plus spécialement aux jeunes, visent à faire découvrir le destin de chacun afin que chacun puisse tirer le meilleur parti de lui-même dans les circonstances de la vie. Ce désir de transcendance de l’esprit humain permettant de surmonter les difficultés de l’existence s’exprime à travers une ferveur ostentatoire qu’on trouve chez les fidèles conquis par cette nouvelle façon de vivre une foi personnelle. Mais ne s’agit-il pas ici tout simplement d’attitudes spirituelles qui, au nom d’une prétendue relation à Dieu détachée de la vie en Eglise, finiront par mettre le message évangélique uniquement au service de paroles toutes humaines faites de slogans répétés à la façon de mantras : « accueillir l’autre dans sa diversité », « être tolérant », « crier de joie pour le Seigneur », « briser les chaînes de l’égoïsme »... etc. ? A force de ne plus répéter que de tels slogans au cours de grands « happenings », n’en vient-on pas à transformer la religion en un simple moment permettant aux individus de partager des projets ou de nouer des relations au sein de différents niveaux d'engagement ? Le Pape François faisait allusion à ce danger en rappelant dès les débuts de son pontificat que l’Eglise se viderait de son sens si elle se transformait en une sorte de super ONG. Or c’est ce qui risque d’arriver si le goût pour de nouvelles spiritualité en vient à éloigner les fidèles de la religion organisée - estimant qu’elle ne répond pas à leurs besoins - pour chercher ailleurs des « relation au divin » qui semblent davantage leur convenir. Les croyants en quête d’une spiritualité réconfortante se tournent, en effet, vers des mouvement religieux leur promettant une « libération » : la libération de toutes les structures qui paraissent opprimantes ou aliénantes soit par leurs lourdeurs, soit par leur côté désuet. Dans ces nouveaux mouvements caractérisés par l’absence de dogmes et de catéchisme, la distinction entre le bien et le mal finit par s’estomper, tout comme le « Credo ». En conséquence, personne ne peut être condamné, et personne n’a besoin d’être pardonné ; la croyance dans l’existence du mal ne pouvant qu’engendrer la frilosité et la peur de l’engagement, la seule réponse qu’on puisse donner à la négativité est donc l’amour vécu à travers une foi « light ». Non pas tant un amour devant être traduit en engagements qu’un amour résultant d’une attitude mentale conduisant à un certain bien-être. D’où ces joyeuses assemblées qu’on trouve dans les communautés pentecôtistes et qui attirent des jeunes catholiques souvent décatéchisés qui imaginent que c’est en développant son potentiel humain que le croyant parviendra à entrer en contact avec son « Dieu intérieur » et avec certaines parties essentielles de la foi qui ont été aliénées ou supprimées par l’Eglise-institution.
Tant la tradition chrétienne que la croyance séculière dans un progrès illimité de la science ont connu une grave rupture qui s'est manifestée pour la première fois dans les révolutions estudiantines de 1968. La sagesse des générations précédentes s’est trouvée brusquement privée de sa signification et du respect dont elle jouissait tandis que la toute-puissance de la science se dissipait. En sorte qu’aujourd'hui l’Eglise doit faire face à une grave crise de transmission de sa foi aux jeunes générations. La perte générale de confiance dans ces piliers traditionnels de la conscience et de la cohésion sociale s’est accompagnée d’un retour inattendu d’une religiosité sans fondements et de rituels sans contenus. Les jeunes générations s’intéressent au « divin »... mais à la condition qu’on puisse le situer dans une association informelle regroupant toutes sortes d’activités, d’idées et d’individus pouvant répondre à cette appellation. On n’y trouve donc pas de structure pouvant être comparée, même de loin, à celles qui permettent aux religions organisées de transmettre un contenu de la foi. Le Dieu dont on parle à présent n’est ni personnel, ni transcendant : il n’est plus qu’une sorte d’énergie dont les grands rassemblements se veulent l’expression collective. « Tout est un » : cette unité est moniste, panthéiste. Ou plus exactement panenthéiste. Dieu est le « principe de vie », « l’esprit ou âme du monde », la somme totale de la conscience existant dans l’univers que l’on souhaite beau, radieux, fraternel. En un certain sens, tout peut devenir Dieu. D’où ce besoin, chez beaucoup de jeunes de se construire des « religions à la carte », des « liturgies évolutives » et d’avoir des « leaders » charismatiques. Mais alors, ne risque-t-on pas de se détacher peu à peu de l’Eglise voulue par le Seigneur alors même qu’on imagine s’en rapprocher ?
Pro Liturgia