« Sommes une jeunesse, Messieurs ! Sommes la jeunesse de Dieu. La jeunesse de la fidélité ! Et cette jeunesse veut préserver pour elle et pour ses fils, la créance humaine, la liberté de l'homme intérieur... » (Charette)

La difficile réalité liturgique en France

La situation actuelle de la liturgie romaine est pour beaucoup de fidèles assez difficile à comprendre. Car on trouve pêle-mêle la liturgie telle que l'Eglise nous demande de la célébrer et la liturgie telle que l'imaginent certains célébrants : entre les deux les différences sont très variables.

 

 

 

1. Les formes légitimes de la liturgie

 

messeritromain.jpgLa liturgie romaine que l'Eglise demande de célébrer se décline sous deux formes légitimes : la forme dite "ordinaire", qui correspond à celle qui a été définie à la suite du concile Vatican II et qui est celle que tout fidèle devrait trouver dans l'ensemble des églises, et la forme "extraordinaire" qui est celle qui a été définie à la suite du concile de Trente au XVIè siècle. Selon les enseignements des Souverains Pontifes qui se sont succédés depuis Vatican II (Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II, Benoît XVI), la forme "ordinaire" prolonge et complète la forme "extraordinaire"; elle ne peut être comprise et correctement mise en œuvre que dans la mesure où celui qui la célèbre a au fond de lui la conscience que la liturgie témoigne de la continuité de l'Eglise et non d'un instant donné, que cet instant soit marqué par un concile ou par le décret signé d'un pape. Signalons ici ce qui apparait comme les caractéristiques essentielles de chacune des deux formes de l'unique rite romain lorsqu'elles sont chantées (ce qui est la forme "normale" de la liturgie) :

 

- la forme "extraordinaire" se présente comme un assemblage - parfois difficile entre quatre éléments : d'une part le rite liturgique proprement dit et le cérémonial qui l'accompagne et, d'autre part la messe lue au cours de laquelle le célébrant fait tout lui-même et la messe chantée au cours de laquelle certaines prières dites par le célébrant sont aussi chantées par une schola alternant parfois avec l'assistance. Cette forme "extraordinaire" est célébrée en latin et, sauf rares exceptions, le prêtre et l'assistance tournés vers l'Orient ou vers ce qui le symbolise dans le sanctuaire.

 

- la forme "ordinaire" apparait simplifiée en ce sens que ce qui est chanté par la schola n'est pas répété par le célébrant à l'autel. Cette forme peut être célébrée en latin ou dans des langues courantes - pourvu, dans ce dernier cas, que les textes employés soient des traductions approuvées des livres liturgiques originaux en latin - et elle peut être célébrée par un prêtre faisant face à l'assemblée.

 

Pour résumer, disons que le rite romain dans sa forme "extraordinaire" est célébré en latin versus orientem et que dans sa forme "ordinaire" il est célébré en latin ou en langue courante, versus orientem ou versus populum. Ceci dit, la réalité est tout autre, particulièrement en France.

 

 


 

2. La réalité liturgique en France

 

a) Pour ce qui est de la forme "extraordinaire"

 

Le Motu proprio Summorum pontificum de Benoît XVI dit clairement que les fidèles qui le souhaitent peuvent participer à la messe célébrée dans sa "forme extraordinaire", à condition de ne pas faire de cette forme un argument dirigé contre Vatican II et la restauration liturgique qui en est issue. Or, en France, tous les prétextes sont bons pour ne pas tenir compte du droit des fidèles à bénéficier de cette forme et ne pas appliquer Summorum pontificum. D'un autre côté, il est vrai aussi que certains de ceux qui souhaitent la forme "extraordinaire" de la liturgie se constituent parfois en "chapelles" dirigées par des fidèles dont les comportement identitaires marqués tendent à exclure celui ou celle qui ne partage pas toutes les convictions du groupe.

 

 

b) Pour ce qui est de la forme "ordinaire"

 

Les enseignements magistériels disent très clairement qu'aucun prêtre ne peut se considérer comme un propriétaire de la liturgie : la forme "ordinaire" du rite romain doit donc respecter ce que l'Eglise a prévu et non ce que tel ou tel célébrant souhaite ou impose à une assemblée. Or, cette disposition essentielle est totalement ignorée de la grande majorité des prêtres et des fidèles laïcs. Résultat : la liturgie restaurée à la suite de Vatican II demeure totalement inconnue (sauf rares exceptions) et dans les paroisses - cathédrales y compris - elle est aujourd'hui remplacée par des cérémonies qui n'ont conservé du rite romain que la trame mais qui n'en ont plus ni la logique, ni la cohérence interne, ni même la dignité capable d'exprimer le sacré. Quant à l'expression latine et grégorienne de cette forme "ordinaire", telle qu'elle était expressément voulue par le concile Vatican II (comme l'a rappelé Benoît XVI dans l'Exhortation Sacramentum caritatis), elle a été refusée dans les paroisses. Il faut préciser ici que cette volonté d'éradiquer le latin s'inscrivait dans un plan plus vaste de désacralisation et de banalisation de la liturgie : tandis qu'on finissait de faire basculer le rite romain du tout latin au tout français, on remplaçait les autels par des tables ou des caisses, on abandonnait le port des vêtements liturgiques prescrits et l'usage des vases sacrés, on supprimait le service d'autel assuré traditionnellement pas des enfants de choeur, on remplaçait les orgues et les harmoniums par des synthétiseurs et des guitares, on liquidait les chorales paroissiales entières afin de mettre à leur place une personne chargée de chanter dans un micro pour "animer" la messe.

 

 

c) Ce à quoi ont droit les fidèles.

 

Très concrètement, le fidèle qui, le dimanche, veut participer en paroisse à la liturgie de l'Eglise, a le choix entre la forme "extraordinaire" du rite romain - s'il la trouve près de chez lui - ou... rien. Car, répétons-le : ce qui se fait dans les églises paroissiales ne ressemble que de loin - parfois même de très loin ! - à la forme "ordinaire". Le résultat d'un demi-siècle de dérives liturgiques cautionnées par un épiscopat français qui avait choisi (par son silence) d'accepter même l'inacceptable, est aujourd'hui sous nos yeux : la messe dite "de Paul VI" est quasiment inexistante. Elle est même totalement inexistante telle qu'elle était prévue par le Concile et telle qu'elle est toujours prévue par le missel romain actuel : en latin/grégorien et versus orientem. On a tout fait pour que le rite romain soit effacé de la "mémoire liturgique" des fidèles : pressions exercées sur les prêtres qui le célébraient sans le déformer, discrédit jeté sur les fidèles qui le demandaient, limogeage des organistes et des maîtres de choeurs qui le respectaient, renvoi des séminaristes qui s'y tenaient, interdiction de l'enseigner dans les séminaires et les maisons religieuses, nomination à la tête des commissions liturgiques diocésaines de prêtres et de laïcs gagnés aux idées les plus anti-liturgiques etc.

 

 

 


3. Des espoirs... et des difficultéS

 

Pourtant, certaines choses sont en train de changer... doucement, trop doucement même. Comment ? Il y a d'abord les enseignements du pape Benoît XVI : il dit tout haut ce que, durant des années, on n'avait pas le droit de dire. A savoir que la liturgie a été déformée par ceux qui ont fait dire au concile Vatican II ce qu'il n'avait jamais voulu dire. Or quand le pape parle, on l'entend. A moins de rester obstinément sourd... Il y a ensuite une nouvelle génération de prêtres qui a elle-même souffert du marasme liturgique généralisé en France. Cette génération a souvent pris le temps de lire et d'étudier Vatican II et elle s'est rendue compte que ce que les aînés avaient imposé dans les paroisses au nom du Concile... n'était pas le Concile tel que l'Eglise l'avait conçu. Certes, ces "nouveaux prêtres" connaissent souvent mal la liturgie : on ne la leur a jamais apprise et ils ne l'ont jamais vue en paroisse. Ils souffrent donc d'un défaut de transmission et il leur faut tout redécouvrir. Souvent, ils ne connaissent la forme "ordinaire" du rite romain que parce qu'ils l'ont vue dans tel ou tel monastère... Mais un monastère n'est pas une paroisse et l'on ne peut pas obliger des fidèles laïcs à faire comme font les moines. Cependant l'esprit de la liturgie monastique peut servir d'assise à une solide pastorale paroissiale en sorte que le fidèle qui participe à la messe dans son église ne se sente pas déboussolé lorsqu'il assistera, à l'occasion, à une messe conventuelle célébrée strictement comme le demande l'Eglise, éventuellement en latin et grégorien. Il faut bien voir que cette nouvelle génération de prêtre, ouvertement "catholique et romaine", désireuse de réinsérer progressivement du latin et du grégorien dans les messes paroissiales, est souvent celle qui inquiète le plus les clercs appartenant à la génération des "démolisseurs de la liturgie", ceux de la "génération 68". Elle inquiète bien plus les establishments diocésains que les fidèles réclamant la forme "extraordinaire" du rite romain, lesquels demeurant généralement minoritaires, ne perturbent pas ceux qui s'emploient depuis des années à déstructurer la liturgie jusqu'à lui faire perdre son sens véritable. La preuve que ces nouveaux prêtres dérangent, c'est que lorsque l'un d'eux célèbre dignement la messe dite "de Paul VI" en français, mais sans la déformer et en y introduisant quelques pièces grégoriennes, il provoque déjà des remous au sein du clergé local, alors que ce même clergé local ne trouvera souvent rien à redire si un groupe de fidèles de sensibilité "traditionnelle" demande à disposer d'une chapelle ou d'un créneau horaire pour célébrer la forme "extraordinaire" du rite romain. Il y a enfin les difficultés qui proviennent de fidèles auxquels on a répété durant des années que depuis Vatican II, la messe devait obligatoirement être célébrée en français et "face au peuple" pour que "le peuple puisse comprendre et voir". Ces fidèles-là, dont certains ont profité de la désacralisation planifiée pour faire de la liturgie leur "pré carré" (animateurs, membres d'E.A.P....) ne comprennent pas et ne supportent pas que des jeunes prêtres puissent consacrer une partie de leur ministère à rétablir tout ce qu'eux se sont employés à faire disparaître au nom de Vatican II. Il y a donc, chez les "anciens" et chez les "nouveaux" deux visions de la liturgie qui s'affrontent... parfois même sans grande charité de la part de ceux qui parlent le plus de "tolérance" et d' "ouverture". Encore que le respect de la liturgie ne soit ni une question de "tolérance" ni une question d' "ouverture" mais plutôt une question de "vérité" et de "fidélité". En effet : la liturgie étant l'expression de la foi de l'Eglise, soumettre les célébrations à des questions de "tolérance" conforterait l'idée que tout peut se négocier en matière doctrinale, sur la base de rapports de force favorables ou défavorables.

 

 


 

CONCLUSION

 

Dans le brouillard liturgique actuel, tel qu'il a couvert la grande majorité des paroisses de France, on peut tout de même distinguer un élément caractéristique : celui d'une opposition sourde entre un clergé "à la française" qui a pris appui sur le Concile mal compris pour favoriser l'émergence d'un christianisme "gallicano-social"  privé de fondements doctrinaux solides, et un clergé "à la romaine" s'attachant à montrer aux fidèles que l' "Eglise en France" ne saura être viable et crédible que si elle manifeste son lien - et quel lien pourrait être plus solide et parlant que celui de la liturgie ? - avec chacun des papes qui ont succédé à l'Apôtre Pierre. Pour le clergé "à la française" qui souvent n'a pas bénéficié d'une solide formation théologique et pastorale, la liturgie n'est conforme aux enseignements de Vatican II que si elle est célébrée en français, "face au peuple", selon des modalités et des artifices dits "pastoraux" qui peuvent la déformer à l'infini en fonction des prêtres et des assistances. On a vu que cette façon de comprendre la liturgie doit être abandonnée en ce qu'elle contredit ouvertement les enseignements de l'Eglise. Pour le clergé "à la romaine", il est impératif de débarrasser les paroisses des célébrations approximatives afin de pouvoir redonner progressivement aux fidèles l'authentique liturgie romaine de l'Eglise, laquelle peut être célébrée soit sous sa forme "extraordinaire" en latin, soit sous sa forme "ordinaire" en latin ou en français, mais toujours en respectant les indications données par le missel et en soignant tout particulièrement la mise en oeuvre des rites. La tâche est ardue et prendra probablement plusieurs générations puisqu'il faut définitivement abandonner ce qui s'est fait jusqu'à présent et procéder à une nouvelle initiation de fidèles qui ont été introduits dans une vision passablement erronée de la liturgie.

 

Pro Liturgia

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