On demande à Mgr Nicola Bux, spécialiste de la liturgie et proche collaborateur du pape Benoît XVI, qu’est-ce qui, selon lui, est à l’origine de la crise de la liturgie ? Il répond : « La liturgie est essentiellement prière d’adoration. La crise qui a blessé la liturgie est due au fait qu’au centre même n’est plus Dieu et son adoration, mais les hommes et la communauté. Ainsi que le disait Jean-Baptiste Metz : « La crise de Dieu est nouée dans l’ecclésiologie ». Providentiellement, le Concile a approuvé en premier la Constitution sur la Sainte Liturgie, parce qu’ « au commencement est l’adoration et donc est Dieu […] L’Église dérive de l’adoration, de la mission de glorifier Dieu » (J. Ratzinger, L’ecclesiologia della Costituzione Lumen gentium, éd Cinisello, Balsamo 2004, p. 132). C’est cela l’ecclésiologie du Concile qui, au-delà des accents historiques divers, est celle de l’Eglise catholique depuis deux mille ans. La crise de la liturgie commence au moment où elle cesse d’être conçue et vécue comme une adoration en Jésus-Christ de la Trinité, où elle n’est plus une célébration de toute l’Eglise catholique mais d’une communauté particulière, où les évêques et les prêtres au lieu d’être des ministres, c'est-à-dire des serviteurs deviennent des leaders. La lamentation continuelle de certains liturgistes au sujet de la mise en œuvre manquée de la réforme et des expédients nécessaires pour la rendre attrayante, montre bien que s’est perdu l’esprit de la liturgie, en la réduisant à une autocélébration de la communauté particulière. » Et Mgr Bux d’expliquer ce que doit être la « réforme de la réforme » voulue par le Souverain Pontife - et les fidèles qui lui sont unis - pour que la liturgie romaine voulue par le Concile - laquelle est pleinement traditionnelle - trouve sa place dans nos paroisses et la pensée de nos évêques : « Il faut réformer ce qui a été déformé. Or les principales « déformations », lesquelles n’ont jamais été imaginées par le Concile, concernent : 1. La transformation de la liturgie, prière et dialogue avec Dieu, en exhibition d’acteurs et en inondation de paroles. Cela est favorisé par le fait que le prêtre est tourné vers le peuple et facilement porté à regarder aux alentours au lieu de les élever vers la croix, comme la vraie prière avec Dieu l’exigerait. Ainsi les hymnes, les psaumes, l’action pénitentielle, les collectes, la prière universelle et surtout l’anaphore, sont perçus comme la récitation plus ou moins sérieuse d’une pièce théâtrale... d’autant qu’il arrive au célébrant de les interrompre pour faire des monitions et des avis aux fidèles. 2. La condamnation du concept de sacrifice auquel est substitué celui de repas, ce qui a fait assimiler l’Eucharistie catholique à la célébration de la Cène protestante. 3. La désorientation procurée par la récitation de l’anaphore face au peuple, qui a contribué à confirmer que la messe était un repas fraternel. 4. La substitution totale du vernaculaire au latin. 5. La révolution « artistique », en particulier celle de la forme de l’autel devenu une table et le décentrement du tabernacle, remplacé par le siège-trône du prêtre. Pour ne rien dire de l’abolition de la clôture sacrée du sanctuaire et de l’installation du baptistère dans le chœur. »
Le Professeur de liturgie indique alors ce qu’il conviendrait de faire pour que soit redécouverte la vraie liturgie de l’Eglise : « Beaucoup de prêtres célèbrent la liturgie à la manière d’une autocréation. Les documents de la Congrégation pour le Culte divin sont très nombreux, mais ils restent lettre morte parce que l’obéissance est en crise. Pourrait-on imaginer l’institution d’un « visiteur apostolique » pour la liturgie, dont la seule existence en ferait rentrer beaucoup dans la discipline ? Mais il faudrait d’abord faire comprendre que la liturgie est sacrée et divine, c'est-à-dire qu’elle descend d’en-haut comme celle de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse ; le prêtre l’accomplit in persona Christi, dans l’Eglise, en tant qu’il en est seulement un ministre. Le terme même de liturgie signifie : action du peuple, en ce sens que celui-ci participe à l’aspect ascendant de l’offrande qui doit être unie à celle du sacrifice de Jésus-Christ. A côté du terme de liturgie, il faudrait réintroduire le terme de culte, lequel indique la relation « cultivée » de révérence et d’adoration de l’homme vers Dieu. Il conviendrait de proposer aux prêtres de se tourner vers le Seigneur durant l’offertoire et l’anaphore, en particulier durant les temps forts de l’Avent et du Carême, afin de souligner la dimension eschatologique de la liturgie. Et là où l’autel versus populum ne possède pas un marchepied antérieur suffisant, il faudrait suggérer de l’installer. Sinon, il faudrait se tourner vers la croix, et pour cela ou bien la suspendre au-dessus de l’autel, ou bien la poser au centre, devant l’autel ou sur l’autel, en expliquant que le crucifix n’est pas un bibelot qui gêne la vue mais qu’il est l’image la plus importante pour aider le regard extérieur et le regard intérieur à se diriger vers la prière. En fait, les yeux du prêtre et ceux des fidèles convergeraient ainsi sur lui au lieu de se distraire de tous côtés. »