Grosso modo, il existe en France deux catégories d'évêques. La première, très largement majoritaire, est composée de ceux qui donnent l'impression (mais n'est qu'une impression ?) de n'avoir jamais su ce qu'est la liturgie de l'Eglise. Ils forment la masse des évêques "adaptables" : ils célèbrent n'importe comment, passant allègrement d'une messe très "classique" (mais rarement vraiment "romaine") à une messe la plus farfelue possible. En les voyant faire, les fidèles ne savent plus très bien en quoi ils croient tellement le décalage est grand entre leurs paroles et leurs actes. Souvent même, le fidèle aura l'impression, en les voyant célébrer une messe, que les mêmes mots n'ont plus le même sens pour l'Eglise que pour eux... La seconde catégorie est composée de ceux, très rares, qui connaissent la liturgie et savent ce qu'elle signifie. Mais la plupart d'entre eux ne la respecte que lorsqu'ils la célèbrent selon la forme "extraordinaire" et non lorsqu'ils la célèbrent selon la forme "ordinaire".
Une telle bizarrerie s'explique assez facilement : les endroits où l'on célèbre selon la forme "extraordinaire" sont les seuls où le célébrant - en l'occurrence l'évêque - n'est pas critiqué par les fidèles lorsqu'ils respecte la liturgie, lorsqu'il s'en tient au missel. Partout ailleurs, c'est-à-dire dans les paroisses où l'on prétend célébrer la liturgie restaurée à la suite de Vatican II, le prêtre qui respecte la forme "ordinaire" est immédiatement pris à partie par une poignée de laïcs bornés - généralement peu représentatifs de la communauté paroissiale - qui vont lui reprocher le "style" qu'il aura su donner à la célébration eucharistique. Les fidèles attachés à la liturgie devront se montrer indulgents avec les évêques de cette catégorie-là, sachant qu'ils font ce qu'ils peuvent dans un contexte qui ne leur est pas favorable du tout et où les choses sont rendues plus difficiles encore en raison du poids exercé par la Conférence épiscopale, laquelle est très largement dominée par les évêques appartenant à la première catégorie mentionnée ci-dessus. Une chose reste cependant certaine : l'ambiguïté de cette situation non seulement rend difficile une "réforme de la réforme" de la liturgie telle qu'elle est souhaitée par le pape Benoît XVI pour initier un nouveau printemps de l'Eglise, mais crée de surcroît une situation de schisme larvé. Car pour la très grande majorité des fidèles le rôle de la liturgie n'est plus la célébration de la foi mais l'exaltation des bons sentiments des uns et des autres. Peu à peu, dans les diocèses, on officialise par étapes le remplacement de la religion catholique basée sur des dogmes permettant de savoir exactement sur quoi doit porter la foi par une religion établie sur des émotions et des opinions (rarement catholique d'ailleurs). Dans cette nouvelle religiosité qui se fait abusivement passer pour catholique, il n'est pas davantage nécessaire d'avoir une autorité infaillible en matière de régulation doctrinale qu'il est indispensable de se conformer à une liturgie prédéterminée, reçue de l'Eglise. Il faut se rendre à l'évidence : la première catégorie d'évêques dont il a été question plus haut est en train de favoriser, sans toujours s'en rendre compte, l'émergence d'une religion qui ne sera plus catholique que de nom mais qui dans les faits sera devenue une variante du protestantisme. Le pape n'aura plus qu'un rôle de fédérateur de communautés (ce qui apparaît déjà en filigrane sur le site internet de la Conférence des Evêques de France), les célébrations liturgiques auront les formes variables que leur auront données les communautés locales, le prêtre aura un rôle uniquement pastoral, la foi ne portera que sur des impressions subjectives. Ce que les fidèles de nos paroisses auront tellement chanté sera réalisé : le "peuple en marche" aura créé l' "Eglise nouvelle"... dans laquelle le sentiment remplacera la raison, l'expérience ponctuelle l'adhésion au mystère, la fluidité des changements la permanence de Vérité.
Pro Liturgia