« Si le monde perdait l'Eglise, il perdrait la Rédemption. Le Nouveau Testament
qui a fondé l'Eglise en lui donnant l'héritage d'Israël, est aussi le "Testament dernier".
L'Eglise n'est pas, comme était la Loi, un pédagogue, dont l'adolescence a besoin
mais dont l'âge mûr pourrait se détacher. L'Eglise a pour unique mission,
de rendre Jésus-Christ présent aux hommes. Elle doit l'annoncer, le montrer,
le donner à tous. Le reste, encore une fois n'est que surcroît »
Cardinal de Lubac, Méditation sur l'Eglise, le sacrement de Jésus-Christ
Nous avons aujourd’hui dans nos paroisses (et nos évêchés) des prêtres qui ont été « formés » dans les séminaires diocésains des années 1970-80. On les comprend mieux si l’on sait en quoi consistait alors cette « formation ». Pour le savoir, il est conseillé de lire le livre de Patrick Chalmel : « Ecône ou Rome : le choix de Pierre » (éd. Fayard, 1990). On y apprend ce que vivait et était obligé d’accepter, dans les séminaires de France, un jeune qui souhaitait être prêtre. Il était, entre autres choses, vivement déconseillé (car on n’interdisait jamais) :
- de fréquenter une paroisse dont le curé était jugé trop « conservateur »,
- de prier le chapelet,
- de faire un moment d’adoration devant le Saint-Sacrement,
- de faire allusion à l’autorité du Souverain Pontife,
- de respecter la liturgie,
- de fréquenter certaines abbayes comme Solesmes, Kergonan, Fontgombault,
- de se dire ouvert à la liturgie latine et grégorienne,
- de vouloir l’application des textes de Vatican II...
N’ont pu rester dans les séminaires et être ordonnés prêtres que des jeunes qui suivaient aveuglément les courants les plus « progressistes » présentés comme les bases d’un véritable renouveau de l’Eglise. Ces jeunes « à l’esprit faible » - comme l’a reconnu Mgr Gaidon - ont été soumis durant plusieurs années à un véritable « formatage de cerveau » qui les a rendus incapables de comprendre que la foi de l’Eglise n’est pas faite de la somme des bons sentiments des fidèles, que la liturgie n’est pas un « show », que le Concile n’est pas le « para-concile » des théologiens... On ne peut donc pas espérer que ces prêtres qui sont aujourd’hui nos curés, nos évêques, puissent comprendre l’Eglise autrement qu’avec les grilles de lecture erronées qu’on leur a données.
Cœur et raison : le cœur, comme centre de la personnalité humaine, et la raison comme condition indispensable de toute action authentiquement personnelle. Ce sont là les grandes coordonnées de la troisième Encyclique de Benoît XVI, « Caritas in Veritate ». C’est un texte qui entrera dans l’histoire par la portée « herméneutique » de la proposition offerte. En suivant ce que nous pourrions désormais appeler une des « lignes directrices » du Pontificat, l’herméneutique de la continuité, le Saint-Père propose une relecture attentive de « Populorum Progressio » du Serviteur de Dieu Paul VI :
En effet, il déclare : « Le point de vue correct est donc celui de la Tradition de la foi des Apôtres, patrimoine ancien et nouveau hors duquel ‘Populorum Progressio’ serait un document privé de racines et les questions liées au développement se réduiraient uniquement à des données d’ordre sociologique » (n° 10). Et encore : « Le lien existant entre ‘Populorum Progressio’ et le Concile Vatican II ne représente pas une coupure entre le magistère social de Paul VI et celui des Papes qui l’avaient précédé, étant donné que le Concile est un approfondissement de ce magistère dans la continuité de la vie de l’Église. En ce sens, certaines subdivisions abstraites de la doctrine sociale de l’Église sont aujourd’hui proposées qui ne contribuent pas à clarifier les choses, car elles appliquent à l’enseignement social pontifical des catégories qui lui sont étrangères » (n° 12). Les catégories auxquelles se réfère le Saint-Père, c’est bien connu, sont celles de « tradition » et de « progrès », qui, opposées de manière illégitime, ne sont autre chose que la version « laïque » de l’herméneutique de la continuité et de la rupture ; la première, légitime ; la deuxième, porteuse d’équivoques graves et dangereuses, trop souvent appliquée au Concile Vatican II, et stigmatisée sans cesse par le Magistère Pontifical, depuis le discours historique du 22 décembre 2005 à la Curie Romaine. En effet, « Il n’y a pas deux typologies différentes de doctrine sociale, l’une préconciliaire et l’autre postconciliaire, mais un unique enseignement, cohérent et en même temps toujours nouveau. Il est juste de remarquer les caractéristiques propres à chaque encyclique, à l’enseignement de chaque Pontife, mais sans jamais perdre de vue la cohérence de l’ensemble du corpus doctrinal » (ibid. n° 12). Pour faire cela, toutefois, il est nécessaire d’être des hommes ! Il est nécessaire de ne pas vivre de « césures intérieurs », non résolues; il est nécessaire d’aimer, sincèrement et passionnément, la Vérité plus que soi-même, plus que son propre petit pouvoir, plus que sa propre opinion intellectualiste. En un mot, est nécessaire la « moralité de la connaissance » qui vient en premier, soit logiquement, soit expérimentalement, de la moralité même de l’action. Cœur et raison, Amour et Vérité, représentent les conditions mêmes de la possibilité d’une vie authentiquement humaine. Une vie qui, nécessairement, par sa propre exigence interne elle-même, demande d’être vécue dans la « continuité », qui n’est pas seulement une catégorie herméneutique, mais, en réalité, qui est une condition anthropologique : sans continuité, il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas de culture et, en définitive, il n’y a pas l’homme. L'Eglise, comme lieu de la vie par excellence, ne peut jamais abandonner ces conditions morales et anthropologiques de la connaissance, certaine comme elle l’est du fait que le véritable progrès coïncide avec l’annonce du Christ Ressuscité ; annonce sans laquelle le monde n’a pas d’avenir et perd, en conséquence, toute force dynamique de développement.
Famille chrétienne : Vous êtes sévère pour ceux que vous appelez les « cathos » et que vous assimilez un peu aux « pharisiens ». Pourquoi ?
Fabrice Hadjajd : Les « cathos » sont, comme leur nom l’indique, des catholiques tronqués, qui tiédissent dès qu’il y a un hic – et j’en fais partie hélas ! Si je suis sévère avec eux, et donc avec moi-même, c’est par imitation du Christ. Qui sont ceux qu’il reprend le plus durement ? Les pharisiens, ceux qui sont de Lui le plus proche : les pratiquants non-croyants, ceux qui bourgeoisement s’arrogent la pratique religieuse, la fossilisent, au lieu de s’y offrir en « hostie vivante ». Pourquoi Jésus n’attaque-t-il pas des athées ? Le Verbe aurait pu s’incarner à une époque ou en un lieu où l’athéisme était virulent. Mais c’est qu’il veut attaquer le mal à sa racine, là où il est le pire : dans une foi sans charité, une foi qui reste dans la tête et ne descend pas dans le cœur, une foi, enfin, qui ne prend pas sa croix. Car la foi n’est pas un confort, c’est une exigence. C’est à celui qui à le plus reçu qu’il est le plus demandé. Si moi, catholique, je suis trouvé sans charité, alors je suis pire que l’athée, pire que le Sodomite. Souvenons-nous de ces paroles du Christ : si les miracles qui ont été faits au milieu de toi avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. C’est pourquoi, je vous le dis : au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi (Matthieu 11, 23-24).
Extrait d’un entretien exceptionnel avec Fabrice Hadjadj qui répond à l'apostat Jacques Duquesne (Famille chrétienne N°1664)