Si le chant grégorien a souvent été abandonné tout de suite après Vatican II, c'est parce qu'il ne suscitait pas toujours un grand enthousiasme chez les fidèles qui le chantaient ou l'écoutaient. De fait, les pièces grégoriennes étaient souvent exécutées avec beaucoup d'application mais sans vie, sans élan. Il faut bien avouer que rares étaient les paroisses dotées de scholae capables de chanter d'une façon qui ne soit pas "poussive".Qu'est-ce qui a pu rendre ce chant ennuyeux, peu apte à susciter l'enthousiasme des fidèles ? Très souvent, c'était la direction du maître de choeur. A des directions alambiquées correspondait un chant grégorien pesant et laborieux. Or le grégorien ne doit jamais être un chant lourd, exécuté avec une affectation telle qu'il devient assommant tant à interpréter qu'à écouter. Correctement chanté, le grégorien est toujours fluide, limpide. C'est ce qui le rend vivant, "intéressant", captivant. Le plaisir qu'éprouvent ceux qui le chantent doit savoir se communiquer à ceux qui l'écoutent. Comment faut-il le diriger pour le rendre attrayant ?
La première chose à ne surtout pas faire quand on le dirige (mais que font malheureusement beaucoup de maîtres de choeurs), ce sont des "moulinets" avec la main. Faire des mouvements ronds conduit 1) à chanter des syllabes à la place des mots et des phrases et 2) à briser tous les élans mélodiques, c'est-à-dire à interdire au chant de "décoller". La deuxième chose à faire est de veiller à ce que les choristes chantent des mots complets, des phrases complètes... et non uniquement des notes mises les unes à la suite des autres et "qui tombent comme des crottes de biques", disait un moine bénédictin avec humour. Il ne faut jamais oublier que le chant grégorien a été composé, retenu, transmis sans le support des notes. Les notes ne sont donc utiles que dans la mesure où elles nous permettent de déchiffrer une mélodie. Après ça, il faut les oublier et ne plus penser qu'au texte. Une petite histoire illustrera mon propos : il y a quelques temps, je dirigeais un groupe de fidèles. Il s'agissait d'apprendre les pièces du propre de la Toussaint. Parmi les personnes présentes, toutes avaient une admirable bonne volonté, mais peu étaient à l'aise dans l'exécution du grégorien... Nous avons "décortiqué" l'introït Gaudeamus, puis nous avons essayé de le chanter une fois, deux fois, trois fois... A chaque fois le résultat n'était pas terrible. J'ai alors dit aux choristes : « Oubliez votre partition : tenez-la à l'envers, chantez ce qui vous passe par la tête, n'importe quoi... Mais regardez bien les gestes que je fais ». Il s'agissait de détendre un peu l'atmosphère. Mais du coup, les gens ont été moins crispés sur les notes, ont fait davantage attention à la direction... Si bien qu'à la fin, quelqu'un a dit : « C'est vrai que finalement, c'est plus facile comme ça ! ». A la messe de la Toussaint, le lendemain, les pièces grégoriennes furent très bien chantées, avec naturel, pour le bonheur de tous : chantres, assistance... et célébrant. La troisième chose à éviter est le maniérisme. Le grégorien se chante de façon naturelle, bouche ouverte (sans mettre les lèvres en cul-de-poule), mâchoire inférieure souple... et non d'une façon affectée donnant l'impression que chaque son à produire est une épreuve à surmonter. Les sons doivent être clairs et les voyelles nasales (on, an, en) doivent être impérativement éliminées dès la première répétition d'une pièce : on prononce anne-gelorum et non pas angelorum comme dans le français "ange". Les liaisons doivent être supprimées : elles n'existent pas en latin ! On chante agnuss' Dei et non (comme on l'entend généralement dans la Messe XVII pour l'Avent et le Carême) Aaaaa - gnusde-i... ( "Gnusdé" ne signifie rien.) De même, dans le Credo, on chantePatrem' omnipotentem... et non Patre momnipotentem...
Enfin, une quatrième chose à éviter est cette sorte d'affection qui touche certains maîtres de chœurs : la "neumaticulite aiguë". La connaissance des neumes est incontestablement utile pour le dirigeant qui souhaite comprendre et respecter le phrasé et articulations mélodiques d'une pièce; mais elle n'est d'aucune véritable utilité pour le choriste. Le grégorien n'est pas l'objet d'études musicologiques : il est au service de la liturgie. Ses racines sont donc dans la prière et non dans les neumes. Les neumes ne sont donc intéressants que dans la mesure où ils ne sont pas pris pour eux-mêmes mais pour entrer au service d'une exécution priante et vivante du répertoire grégorien. Puissent ces quelques conseils permettre aux paroisses de renouer avec la tradition grégorienne, comme le demande si souvent Benoît XVI.
Pro Liturgia