Une génuflexion, un signe de croix, je quitte la chapelle derrière le chœur de l'église Saint-Sulpice, il me restait un peu de temps avant mes cours pour prier. En me dirigeant vers la sortie, je passe devant la plaque de marbre à la mémoire des prêtres assassinés par la Convention. L'église est froide et sombre. Le temps semble s'être figé ici, et les lieux désertés. En sortant, le froid me pousse à fermer mon manteau et j'avance. Me voici désormais Rue Bonaparte, après un carrefour j'arrive sur le boulevard haussmannien jalonné de magasins de luxe, de banques et par les cafés occupés par bon nombre de maîtres-penseurs, les nouveaux intellectuels de Saint Germain-des-Près. Après quelques minutes de marche pour remonter le boulevard, je tourne rue des Saint Pères, au 56, je rentre dans la cour. Je pénètre à l'intérieur pour arriver devant la machine à café. En buvant je regarde les annonces et affichettes accrochées sur le mur. L'une d'entre elles présente deux hommes qui s'embrassent et un slogan : "non à l'ordre moral", mon regard se déplace vers la gauche, une affiche du NPA défend la libre contraception et l'avortement. (...) En jetant mon café, je vois une affiche du Centre St Guillaume (CSG) dans la poubelle. Il s'agit de l'aumônerie catholique qui propose de réunir les croyants et de faire découvrir la foi aux étudiants.
Une fois le jardin traversé, j'arrive dans la "péniche", le grand hall d'entrée. Sur les murs de droite comme de gauche, il y a beaucoup d'affiches... du NPA qui veut désarmer la police, du Front de Gauche qui présente son programme (casse-toi pauv' con), du Parti Socialiste section Jean Zay qui affiche ses couleurs... (...). Sur une grande table sont disposés des journaux. (...) Je lis la "une" d'un journal financier américain lorsque une jeune fille l'aborde et me demande de signer pour Amnesty International (mouvement pro-mort, NDLR). De bonne foi, je refuse mais elle insiste prétextant que c'est pour la défense des droits humains en Iran ou pour la liberté de la presse en Asie du Sud-ouest, je ne sais plus. Bien que téméraire je décline à nouveau et la remercie. Elle persiste et m'assure que nous sommes tous concernés par les droits de l'homme et la justice dans une vision universelle. Ayant envie de débattre - elle a insisté - je lui demande à mon tour de quels droits de l'Homme il s'agit, ce qui pour elle fonde cette dignité de la personne humaine, qui pour moi est considérée à travers l'absolu de Dieu. Ses yeux s'écarquillent. Elle m'explique alors avec beaucoup de franchise qu'il importe peu que ce soit pour Dieu, Allah ou je ne sais quoi et que cela est une préoccupation de tous les citoyens. Je réponds simplement que je préfère m'assurer qu'il s'agit d'un engagement cohérent avec ma foi chrétienne. Elle soupire, s'en va en concluant avec rhétorique et répartie : « facho ».
Je retourne à ma lecture. (...) Les gens se pressent, le cours magistral va bientôt débuter. Je me dirige vers l'amphithéâtre mais une personne à une autre table m'interpelle et me demande si je souhaite participer à une conférence sur l'homoparentalité. Je regarde le nom et les associations des intervenants sur son tract et lui fait part de ma surprise quant à l'absence de personnes pour défendre l'opposition à cette question. Selon le jeune homme, ce n'est pas un débat mais bien une conférence pour défendre les couple gay et lesbiens qui n'ont pas les mêmes droits que les autres citoyens. Il remarque mon dodelinement et me demande pourquoi j'ai cette réaction. Il y a du monde derrière moi, l'UNEF a sa table juste à côté, j'hésite à répondre. Je me lance en expliquant que le mariage ne peut être selon moi qu'une union entre un homme et une femme. Cette réponse ne convient pas car je suis de toute manière dans le schéma archaïque des sexes alors que les humains se définissent par "genres" (+) (+), ce qui constitue une pensée très anti-égalitaire. Avec courtoisie je dispose et entre dans l'amphithéâtre.
Mon ami Alexis m'attend. Nous soupirons et nous préparons à prendre des notes du cours. Deux heures plus tard la cours s'achève sous une pluie d'applaudissement comme à chaque fois avec ce professeur. Nous nous regardons, nous soupirons et esquissons un sourire. Désormais nous savons que Mai 68 a été un moment fantastique et un progrès sans précédent pour ce professeur, que le terrorisme n'est qu'une conséquence d'un manque d'intégration sociale à l'échelle mondiale... (...). En quittant l'amphithéâtre, je salue Alexis qui a un autre cours et m'apprête à traverser le grand hall pour rejoindre des amis. Je remarque sur le côté droit une table que je n'avais pas remarquée avant et sur laquelle étaient disposés des tracts et une boite en carton. Dans celle-ci il y avait des préservatifs. Surpris et ayant mis quelques secondes à réaliser cela, une femme du stand me précise qu'ils sont gratuits et que je peux me servir. Afin de ne pas créer d'incidents diplomatiques (le Directeur est à quelques mètres dans le hall) je refuse avec gentillesse et avec un large sourire. Un jeune homme me demande alors si par hasard je préférerais ceux-ci, c'est-à-dire avec le logo gay dessus, avec un aussi grand sourire. J'arrête de sourire et décline l'offre, avec courtoisie, et me dirige vers la sortie en évitant de justesse un tract de l'Unef.
(…) Ce fut une journée banale à Sciences Po Paris. (…) La vie d'un Chrétien à Sciences Po doit être discrète et il doit apprendre à éviter les crachas, les moqueries et les provocations. Il peut aussi décider d'assumer et de défendre ses valeurs. En cherchant bien vous les trouverez. Ils sont peu nombreux, mais soudés. Ils prient ensemble, ils marchent ensemble et par dessus tout, ils croient.
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