On ne devrait pas considérer le Carême comme étant uniquement un temps de préparation à la Pâque de Notre Seigneur Jésus, mais comme un temps et un parcours de grâce qui, même au milieu de l’épreuve de la tentation et de la lutte contre le péché, va à la rencontre de la Gloire du Ressuscité, comme un fleuve qui coule vers sa mer. Le fleuve n’est pas encore la mer, mais il le sera. En effet, le Seigneur demande de le suivre en tout moment, spécialement quand la croix devient lourde. On ne peut accueillir le Tout sans se vider de son propre moi : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera » (Marc 8, 34-35). Défaite et victoire, souffrance et joie, croix et résurrection, pénitence et fête, sont les deux faces de la même médaille, c’est-à-dire de la même Réalité, ce sont les paradoxes de l’unique Vérité de Foi : le Christ Crucifié et Ressuscité a le pouvoir de transformer notre histoire, notre vie tout entière, faite de si nombreux non et oui, dans une unique, grand et immense Oui à Dieu.
L’humanité tout entière a été rachetée par Jésus ; mais, afin que la Rédemption devienne efficace en chacun de nous, il faut l’acte de foi de chaque personne en particulier. Quand, dans une confiance totale, on met sa confiance en Jésus, Il « entre » dans notre vie, et, avec sa grâce, il l’unifie. Sans l’acte de foi renouvelé en Lui, Jésus ne peut accomplir le miracle d’une vie transformée. Les forces humaines, la seule bonne volonté d’amélioration ne suffisent pas : c’est comme une ligne que je cherche à tracer, mais qui se brise sans cesse ; c’est comme une route que je cherche à construire, mais qui s’interrompt continuellement, et je ne sais ce que je puis faire. Sans la conversion au Christ, dans la foi, cette vie, ma vie, est formée - ou plutôt déformée - de « petits morceaux » d’existence jetés de ci de là, de pas justes en avant et de pas erronés en arrière. Ce qu’il me reste ? Des fragments d’un projet non réalisé, parce qu’il est tellement fragile sans la grâce de Jésus, le Rocher ! Sans la foi et l’amour mis en Lui, la vie nous échappe de manière inexorable, le temps l’emporte avec lui, comme un écheveau qui s’emmêle, avec ses mille événements, souvent d’une grande banalité, où il est impossible de trouver le fil conducteur, parce que nous ne savons pas par où commencer. Mais voilà que si je me rencontre avec Jésus, tout change : je recommence en partant de Lui, je repars de sa Parole, le « fil d’or » qui tient est sa Vérité qui n’est pas emmêlée, qui n’est pas altérée, qui est simplement la Vérité ! Je deviens alors capable d’écouter sa Voix, d’élargir mon horizon ; à présent, il y a Quelqu’un d’absolument différent, qui nous dit des paroles extraordinairement vraies, des paroles qui semblent être des utopies pour un grand nombre ; mais pour ceux qui les croient, elles ouvrent toutes grandes les portes à des réalités merveilleuses : « Je suis la Résurrection et la Vie ; celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jean 11, 25). Que de vies brisées, jetées, perdues, ont « ressuscité » au contact de la présence de Jésus, se sont recomposées, comme les ossements innombrables de la vision d’Ezéchiel 37, 5-6 : « Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que je vais faire entrer en vous l'esprit et vous vivrez. Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé. » Avec le souffle vivifiant de l’Esprit, ces vies se sont réunies, se sont unifiées dans le Principe Premier de leur existence, et ont recommencé à vivre. L’Evangile ne nous parle pas seulement de nombre de ces « squelettes », qui sont redevenus vivants et vigoureux, de nombreux malades dans leur âme et dans leur corps qui ont retrouvé la santé grâce à Jésus, une santé mentale, morale, physique, de nombreux pécheurs, aveugles au-dedans d’eux-mêmes qui, comme le sont les aveugles qui ne voient pas au-dehors d’eux-mêmes, grâce à l’intervention miraculeuse du Christ, par la foi, ont retrouvé la vue. Non, non seulement l’Evangile nous donne un témoignage continu que l’annonce chrétienne n’est pas une utopie, que le miracle est à l’ordre du jour pour celui qui croit ; mais il y a deux mille ans de Christianisme qui, de long en large, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes, à chaque époque historique, témoignent que celui qui croit fermement au Seigneur Jésus, réécrit avec sa propre vie, ligne par ligne, Son Evangile. Les Saints en sont le témoignage le plus sublime, et leurs tombeaux proclament à voix haute la vérité, au cœur des plus hautes et des plus belles : En Dieu, la vie est éternelle ! Si ce n’est pas Jésus qui entre dans notre existence, et qui y travaille avec sa grâce, rien ne s’accomplit vraiment dans la vie, parce que tout passe, étant donné que, sans Lui, tout est vanité. Jésus nous accueille et nous aime tels que nous sommes, là où nous sommes, avec nos qualités et nos défauts, avec nos erreurs et nos vertus. Si nous sommes au banc des impôts comme Lévi (Marc 2, 14), si nous sommes au milieu d’une route, comme Bartimée, l’aveugle de Jéricho (Marc 10, 46), si nous sommes cachés dans la foule, comme l’hémorroïsse (Marc 5, 32), à celui qui croit, Il donne le pouvoir de devenir une créature nouvelle, c’est-à-dire d’avoir une vie nouvelle, celle de l’Esprit !
Cette vie spirituelle, comme le soleil qui se lève sur l’horizon, se détache sur la vie charnelle qui est toute tournée vers les choses d’ici-bas, vers ces choses « horizontales », et qui est en conséquence circonscrite à un petit « fragment » une réalité finie. Mais le soleil, la vie de grâce de Jésus en nous, plus elle grandit dans l’âme, plus elle nous élève au-dessus de tout le reste, et nous apprenons, toujours plus, en suivant Jésus que, après la souffrance vient la joie, que après les ténèbres vient la lumière, que, après la tempête vient toujours le calme. Quelle grande erreur ne faisons-nous pas en cherchant le bonheur seulement sur une face de la médaille : au milieu de la lumière, du calme, de la joie… Un tel bonheur se « brise » ainsi à peine survient l’autre face de la réalité, celle que le monde rejette en croyant ainsi l’anesthésier pour jouir seulement de la partie positive de la vie. Non, l’Evangile ne nous apprend pas cela ! Le Seigneur est venu prendre tout et tout racheter pour l’élever vers Dieu, le transformer en grâce, en lumière surnaturelle, en joie divine : la lumière, tout comme les obscurités, la joie tout comme la souffrance, le calme tout comme la tempête. Jésus ne dort pas seulement quand la mer est calme ; Il dort aussi au milieu de la tempête, parce que ni le calme ni le tempête ne sont en eux-mêmes capables de nous élever vers Dieu, mais c’est seulement ce qui nous unit au Christ dans l’amour, qui nous mène dans l’Au-Delà. Avec l’aide d’une Guide, la plus experte, la Vierge des Sept Douleurs, qui connaît le chemin de la souffrance qui mène à la gloire, que ce Carême puisse devenir pour tous une ouverture de libération, tout tourné vers le Ciel où Jésus nous attende définitivement.
Fides