18 septembre 2009 5 18 /09 /septembre /2009 20:29

http://img.over-blog.com/667x1024/0/21/41/34/2010/chaput.jpgAujourd’hui, à notre époque d’interconnexion mondiale, les défis auxquels les catholiques sont confrontés en Amérique sont à peu près les mêmes qu’en Europe : nous affrontons une vision politique agressivement laïque et un modèle économique consumériste qui aboutissent – en pratique, sinon avec une intention avouée – à une nouvelle forme d’athéisme encouragée par l’État. [...] Aux États-Unis, pays qui est encore chrétien à 80 % et qui garde un niveau élevé de pratique religieuse, des agences gouvernementales cherchent de plus en plus, actuellement, à dire aux prêtres de l’Église comment ils devraient agir et à les contraindre à des pratiques susceptibles de détruire leur identité catholique. Des efforts ont été faits pour décourager ou criminaliser l'expression de certaines croyances catholiques, au motif qu’elles constitueraient des "discours de haine". Nos tribunaux et nos corps législatifs accomplissent maintenant de manière récurrente des actes qui attaquent le mariage et la vie de famille, et ils cherchent à faire disparaître de notre vie publique le symbolisme chrétien et les signes de l’influence chrétienne. En Europe, on note des tendances semblables, mais elles sont marquées par un mépris encore plus manifeste pour le christianisme. Des dirigeants de l’Église ont été injuriés dans les médias et même devant les tribunaux simplement parce qu’ils exprimaient l'enseignement catholique. [...] Au début de cet été, nous avons été les témoins de formes de brutalité que l’on n’avait plus vues sur ce continent depuis l’époque où étaient en vigueur les méthodes policières nazies et soviétiques : le palais archiépiscopal de Bruxelles a été perquisitionné par des policiers, des évêques ont été arrêtés et interrogés pendant neuf heures sans bénéficier des garanties légales, leurs ordinateurs privés, téléphones portables et documents ont été confisqués. Même les tombes d’hommes d’Église défunts ont été violées à l’occasion de cette perquisition. Pour la plupart des Américains, cette sorte d’humiliation calculée, publique, de chefs religieux serait un scandale et un abus du pouvoir de l’État. Et cela n’est pas dû aux vertus ou aux fautes de tel ou tel des dirigeants religieux impliqués, puisque nous avons tous le devoir d’obéir aux lois justes. Le scandale tient plutôt au fait que les autorités civiles, par leur brutalité, montrent du mépris pour les croyances et les croyants représentés par leurs dirigeants. [...] Le cardinal Henri de Lubac a écrit un jour qu’ « il n’est pas vrai que l’homme ne peut pas organiser le monde sans Dieu. Ce qui est vrai, c’est que sans Dieu [l'homme] ne peut en fin de compte l’organiser que contre l'homme. Un humanisme exclusif est un humanisme inhumain ». Actuellement l'Occident s’achemine constamment vers ce nouvel "humanisme inhumain". Et si l’Église doit réagir avec toute sa foi, nous avons besoin de mettre en pratique les leçons que vos Églises ont apprises sous les régimes totalitaires. Un catholicisme de résistance doit être fondé sur la confiance en ces paroles du Christ : "La vérité vous rendra libres" (Jean 8, 32). Vivre dans la vérité, cela signifie vivre en accord avec Jésus-Christ et avec la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture. Cela signifie proclamer la vérité de l’Évangile chrétien, non seulement par nos paroles mais par notre exemple. Cela signifie vivre, chaque jour et à chaque moment, de l’inébranlable conviction que Dieu est vivant et que son amour est la force motrice de l’histoire humaine et le moteur de toute vie humaine authentique. Cela signifie croire que les vérités contenues dans le Credo méritent que l’on souffre et que l’on meure pour elles. Vivre dans la vérité, cela signifie aussi dire la vérité et appeler les choses par leur nom. Et cela signifie révéler les mensonges en fonction desquels certains hommes essaient d’en forcer d’autres à vivre.

 

 

Deux des plus gros mensonges dans le monde actuel sont, en premier lieu, que le christianisme a été d’une importance relativement mineure dans le développement de l'Occident et, en second lieu, que les valeurs et les institutions occidentales peuvent perdurer sans être enracinées dans les principes moraux chrétiens. [...] On minimise parfois le passé chrétien de l'Occident avec les meilleures intentions du monde, parce que l’on désire favoriser une coexistence pacifique au sein d’une société pluraliste. Mais on le fait plus souvent pour marginaliser les chrétiens et pour neutraliser le témoignage public de l’Église. L’Église doit révéler et combattre ce mensonge. Être Européen ou Américain c’est être l’héritier d’une profonde synthèse chrétienne de l'art et de la philosophie grecs, du droit romain et de la vérité biblique. Cette synthèse a donné naissance à l'humanisme chrétien qui soutient toute la société occidentale. Sur ce point, nous pouvons citer le chercheur et pasteur luthérien allemand Dietrich Bonhoeffer. Voici ce qu’il écrivait, quelques mois avant d’être arrêté par la Gestapo en 1943 : « L'unité de l'Occident n’est pas une idée mais une réalité historique, dont l’unique base est le Christ ». Nos sociétés, en Occident, sont chrétiennes de naissance et leur survie dépend de la pérennité des valeurs chrétiennes. Nos principes fondamentaux et nos institutions politiques sont fondés, dans une large mesure, sur la morale de l’Évangile et sur la conception chrétienne de l’homme et du gouvernement. Nous parlons ici non seulement de la théologie chrétienne ou des idées religieuses, mais des bases de nos sociétés : le gouvernement représentatif et la séparation des pouvoirs ; la liberté de religion et de conscience ; et ce qui est le plus important, la dignité de l’être humain. Cette vérité à propos de l’unité essentielle de l'Occident a un corollaire, que Bonhoeffer a également remarqué : supprimer le Christ, c’est supprimer la seule base fiable de nos valeurs, de nos institutions et de notre mode de vie. Cela signifie que nous ne pouvons pas faire abstraction de notre histoire en raison d’une préoccupation superficielle de ne pas offenser nos voisins non-chrétiens. En dépit de tout ce que peuvent dire les "nouveaux athées", il n’y a aucun risque que le christianisme soit imposé par la force à quelqu’un où que ce soit en Occident. Les seuls "états confessionnels", dans le monde d’aujourd’hui, sont ceux qui sont dirigés par des dictatures islamistes ou athées : des régimes qui ont rejeté la croyance de l'Occident chrétien dans les droits individuels et dans l’équilibre des pouvoirs. Je voudrais souligner que la défense des idéaux occidentaux est la seule protection dont nous et nos voisins disposions pour éviter de tomber dans de nouvelles formes de répression, que ce soit du fait d’extrémistes musulmans ou de technocrates laïcistes. Mais l'indifférence envers notre passé chrétien contribue à l’indifférence envers la défense de nos valeurs et de nos institutions à l’heure actuelle. Ce qui me conduit au second gros mensonge avec lequel nous vivons aujourd’hui : celui selon lequel il n’existe pas de vérité immuable. Le relativisme est aujourd’hui la religion civile et la philosophie publique de l'Occident. Là encore, les arguments en faveur de ce point de vue peuvent sembler convaincants. Étant donné le pluralisme du monde moderne, il peut paraître raisonnable que la société veuille affirmer qu’aucun individu, aucun groupe, n’a le monopole de la vérité ; que ce qu’une personne considère comme bon et désirable peut ne pas l’être pour quelqu’un d’autre ; et que toutes les cultures et toutes les religions doivent être respectées comme étant d’une valeur égale. Dans la pratique, toutefois, nous constatons que, s’il n’y a pas une croyance en des principes moraux et des vérités transcendantes qui soient permanents, nos institutions et notre langage politiques deviennent des instruments au service d’une nouvelle barbarie. Au nom de la tolérance nous en arrivons à tolérer la plus cruelle des intolérances ; le respect des autres cultures en arrive à nous imposer le mépris pour la nôtre ; l'enseignement du "vivre et laisser vivre" justifie que les forts vivent au détriment des faibles.

 

 

Ce diagnostic nous aide à comprendre l’une des injustices fondamentales de l’Occident aujourd’hui : le crime de l'avortement. Je sais que le droit à l’avortement est inscrit dans les lois actuelles de la quasi-totalité des pays occidentaux. Dans certains cas, ce droit reflète la volonté de la majorité et il est mis en œuvre par des moyens légaux et démocratiques. Et je suis conscient que beaucoup de gens, y compris au sein de l’Église, s’étonnent que nous, catholiques américains, continuions à placer le caractère sacré de la vie prénatale tellement au centre de notre témoignage public. Permettez-moi de vous dire pourquoi je crois que l’avortement est le problème fondamental de notre temps. Tout d’abord, parce que l'avortement pose aussi la question de la vie dans la vérité. Le droit à la vie est la base de tout autre droit de l’homme. Si ce droit n’est pas  inviolable, aucun autre droit ne peut être garanti. Ou, pour parler plus brutalement : un homicide est un homicide, si petite que soit la victime. Et voici une autre vérité que beaucoup de gens au sein de l’Église n’ont pas encore pleinement assimilée : la défense du nouveau-né et de la vie prénatale est un élément central de l'identité catholique depuis l’âge apostolique. [...] On peut en trouver la preuve dans les plus anciens documents de l’histoire de l’Église. De nos jours – alors que le caractère sacré de la vie est menacé non seulement par l’avortement, par l’infanticide et par l’euthanasie, mais aussi par la recherche sur les embryons et par la tentation eugéniste d’éliminer les faibles, les handicapés et les vieillards infirmes – cet aspect de l'identité catholique devient encore plus essentiel pour notre nature de disciples. Ce que je veux dire quand je parle de l’avortement, c’est ceci : son acceptation si largement répandue dans les pays occidentaux nous montre que, si nos institutions démocratiques ne sont pas fondées sur Dieu ou sur une vérité très haute, elles peuvent très facilement devenir des armes contre notre propre dignité d’hommes. Les valeurs auxquelles nous tenons le plus ne peuvent pas être défendues uniquement par la raison ou simplement pour elles-mêmes. Elles n’ont pas d’auto-affirmation ni de justification "interne". Il n’existe pas de raison intrinsèquement logique ou utilitaire en vertu de laquelle la société devrait respecter les droits de l’homme. Il y a encore moins de raison de reconnaître les droits de ceux dont la vie impose une charge à autrui, comme les enfants dans le sein de leur mère, les malades en phase terminale, ou les handicapés physiques ou mentaux. Si les droits de l’homme ne viennent pas de Dieu, alors ils dépendent de conventions arbitraires entre les êtres humains. L’État existe pour défendre les droits de l’homme et pour favoriser l'épanouissement de l’homme. L’État ne peut jamais être la source de ces droits. Quand l’État s’arroge ce pouvoir, même une démocratie peut devenir totalitaire. Qu’est-ce c’est que l’avortement légalisé, sinon une forme de violence intime qui se drape dans la démocratie ? La force de la loi est donnée à la volonté de puissance du fort pour tuer le faible.

 

 

C’est dans cette direction que nous Occidentaux sommes en train d’avancer. [...] Dans les années 60, Richard Weaver, un philosophe américain spécialiste des questions sociales, écrivait : « Je suis absolument convaincu que le relativisme finira par aboutir à un régime de force ».Il avait raison. Il y a une sorte de "logique interne" qui conduit le relativisme à la répression. C’est ce qui explique le paradoxe des sociétés occidentales qui peuvent prêcher la tolérance et le respect des diversités tout en sapant de manière agressive et en pénalisant la vie catholique. Le dogme de la tolérance ne peut tolérer la conviction qu’a l’Église que certaines idées et comportements ne doivent pas être tolérés parce qu’ils nous déshumanisent. Le dogme selon lequel toutes les vérités sont relatives ne peut pas accepter l’idée que certaines vérités puissent ne pas l’être. Les croyances catholiques qui irritent le plus profondément les orthodoxies de l'Occident sont celles qui concernent l'avortement, la sexualité, et le mariage d’un homme et d’une femme. Ce n’est pas un hasard. Ces croyances chrétiennes expriment la vérité à propos de la fertilité, de la signification et de la destinée de l’homme. Ces vérités sont subversives dans un monde qui voudrait nous faire croire que Dieu n’est pas nécessaire et que la vie humaine n’a pas de nature ou de but intrinsèques. L’Église doit donc être punie parce que, en dépit de tous les péchés et de toutes les faiblesses des gens qui la composent, elle est encore l’Epouse de Jésus-Christ ; elle est encore une source de beauté, de sens et d’espoir qui refuse de mourir ; elle est encore la plus irrésistible et la plus dangereuse hérétique du nouvel ordre du monde. [...] Nous ne pouvons et nous ne devons pas abandonner le dur travail que constitue un dialogue honnête. Loin de là. L’Église a toujours besoin de chercher des amitiés, des points d’accord et des façons d’argumenter de manière positive et raisonnable sur la place publique. Mais il serait stupide d’attendre de la gratitude, ou même du respect, de la part de nos actuelles classes dirigeantes dans les domaines de la politique et de la culture. L'imprudence naïve n’est pas une vertu évangélique. À toutes les époques, l’Église est tentée d’essayer de s’entendre avec César. Et il est très vrai que l’Écriture nous dit de respecter ceux qui nous gouvernent et de prier pour eux. Nous devons avoir un grand amour pour le pays que nous appelons notre patrie. Mais nous ne pouvons jamais rendre à César ce qui est à Dieu. En premier lieu, nous devons obéir à Dieu ; les obligations vis-à-vis du pouvoir politique viennent toujours en deuxième position. [...] Nous vivons à une époque où l’Église est appelée à être une communauté croyante de résistance. Nous devons appeler les choses par leur nom. Nous devons combattre les maux que nous voyons. Et, point très important, nous ne devons pas nous bercer de l’illusion selon laquelle, en nous associant aux voix du laïcisme et de la déchristianisation, nous pourrions d’une façon quelconque adoucir ou changer les choses. Seule la vérité peut rendre les hommes libres. Nous devons être des apôtres de Jésus-Christ et de la Vérité qu’il incarne.

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12 septembre 2008 5 12 /09 /septembre /2008 20:08

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1 avril 2008 2 01 /04 /avril /2008 06:36

Homélie de Son Eminence le Cardinal Amato, le 29 avril 2012 à Coutances, pour la

Béatification du Père Pierre-Adrien Toulorge, martyr de la sinistre Révolution française :

 

 

cardinalamatoLe martyre est un signe resplendissant de la sainteté d’un fidèle. Le témoignage usque ad sanguinem est un apport de grande valeur pour l’Eglise et pour la société, qui aide à éviter de confondre le Bien et le Mal. Les martyrs, et plus généralement, tous les Saints de l’Eglise, par l’exemple éloquent et attirant d’une vie totalement transfigurée par la splendeur de la Vérité, éclairent toutes les époques de l’histoire en y réveillant le sens moral. Rendant un témoignage sans réserve au Bien, ils donnent une constante actualité aux paroles du prophète : « Malheur à ceux qui appellent le Mal Bien et le Bien Mal, qui font des Ténèbres la Lumière et de la Lumière les Ténèbres, qui font de l’amer le doux et du doux l’amer ». C’est là la signification encore actuelle pour nous du martyre de Pierre-Adrien Toulorge, chanoine prémontré guillotiné durant la Révolution française. Il y a un an à Dax a été béatifiée la sœur Marguerite Rutan, Fille de la Charité, tuée, elle aussi, au cours de cette tragique révolution qui a semé partout deuil et ruine. A l’automne 1793, alors qu’avait commencé la phase la plus cruelle de la Révolution, la Terreur, prêtres et religieux fidèles à Rome furent persécutés, incarcérés, soumis à des procès sommaires et exécutés.  Le 12 octobre 1793, le prémontré Pierre-Adrien Toulorge, âgé de 36 ans, rentra dans la cellule de sa prison avec le visage serein. Interrogé sur l’issue de son procès, il répondit que tout était bien allé. On pensa qu’il avait été acquitté. Mais on apprit au contraire qu’il avait été condamné à mort. La moniale bénédictine qui avait été arrêtée en même temps que lui, Sœur Saint-Paul fondit en larmes. Mais le futur martyr la réconforta : sa mort serait un exemple pour les autres fidèles ; d’ailleurs, ayant renoncé au monde par la profession religieuse, il ne devait pas craindre de la quitter pour un passage assuré vers le Ciel. L’attitude, les paroles du Père Toulorge révèlent sa grande force d’âme, don précieux du Saint Esprit. 

 

Pierre-Adrien était né à Muneville-le-Bingard en Normandie, le 4 mai 1757, dans une famille d’humbles paysans. Dernier de trois enfants, il fut baptisé le jour-même de sa naissance. Il fut ordonné prêtre en 1782 et cette même année, il fut nommé vicaire de Doville, paroisse allouée à l’abbaye prémontrée de Blanchelande. Quelques années après, il entra dans la communauté de cette abbaye et, après le noviciat, il émit ses vœux. En 1790, l’Assemblée nationale décréta la suppression des ordres religieux et la confiscation de leurs biens. Se refusant à adhérer à l’idéologie révolutionnaire, le Père Toulorge se mit à vivre dans la clandestinité, célébrant les sacrements en cachette et se déplaçant continuellement. Il fut arrêté en septembre 1793. Il portait avec lui les prières de la messe en l’honneur du Saint Esprit et celles de la messe de la Vierge Marie, recopiées à la main, ainsi qu’une tunique blanche et d’autres objets pour le culte. Soumis à trois interrogatoires en septembre et octobre 1793, il fut finalement condamné à mort. Le 13 octobre 1793, le bienheureux martyr invita ses compagnons de détention à réciter avec lui l’Office divin : les Laudes, les Vêpres. Arrivé à Complies, il interrompit le chœur à l’avant-dernière strophe de l’hymne en ajoutant qu’il aurait terminé au Ciel. Les témoignages nous apprennent qu’il fut guillotiné entre seize heures et seize heures trente, le dimanche 13 octobre 1793 à Coutances. Le Père Toulorge était vêtu d’une longue redingote verte boutonnée jusqu’au cou. Il demanda que les cheveux lui fussent ramenés sur le devant de la tête pour faciliter la décapitation. Dans l’une des trois lettres qu’il écrivit la veille de son martyr, il dit : « On vient de me lire ma sentence de mort ; demain à deux heures, je quitterai cette terre pour aller au Ciel jouir de la présence de Dieu et de mon Eglise. Hélas, comment se peut-il faire que, tout pécheur que je suis, j’aie le bonheur d’être couronné du martyre. Je confesse à mon Dieu d’être très indigne d’une telle faveur, mais, que dis-je ? C’est le sort de ceux qui ont le bonheur d’être demeurés fidèles à la Foi catholique, apostolique et romaine. ». Ecrivant ensuite à son frère, il a ajouté : « Réjouis-toi, tu auras demain un protecteur dans le Ciel. Réjouis-toi de ce que Dieu m’ait trouvé digne de souffrir non seulement la prison mais la mort même pour Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est la plus grande grâce qu’Il pouvait m’accorder. Tourne tes yeux vers le Ciel, vis en honnête homme et surtout en bon chrétien. Elève tes enfants dans la sainte religion catholique, apostolique et romaine. ».

 

Nous trouvons-là, mes chers frères, l’actualité impérissable d’un martyr mis à mort il y a plus de deux siècles. Son martyre nous invite à vivre avec cohérence et fidélité notre communion avec Jésus et ce, malgré les blessures et les souffrances de toutes sortes que la société moderne inflige à l’Evangile par ses idéologies erronées, sur la conception de la vie humaine, sur l’avortement, sur le mariage, sur l’euthanasie. Nous apprenons du bienheureux martyr Toulorge à résister, avec la grâce et par la prière, à cette culture de mort en affrontant avec force et persévérance les sacrifices nécessaires pour rester fidèle au Christ, Chemin, Vérité et Vie. Comme le disait Saint Grégoire le Grand : « Les chrétiens peuvent même aimer les difficultés de ce monde en vue du fruit éternel ». A l’imitation du Christ, Bon Pasteur, le bienheureux Pierre-Adrien Toulorge a donné sa vie pour ses fidèles les défendant des loups. Son intercession puisse-t-elle nous aider à être, nous aussi, de bons chrétiens, forts et victorieux, dans la défense de notre Foi en Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Amen !

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20 mars 2008 4 20 /03 /mars /2008 19:17

ite-ad-ioseph« Le 7 juin 1660, un jeune berger provençal de 22 ans, Gaspard Ricard, sur ce lieu du Bessillon, bénéficia d’une apparition de saint Joseph, qui l’interpellait ainsi : « je suis Joseph, soulève la pierre et tu boiras ». Notre diocèse a cet extrême privilège d’avoir accueilli les seuls mots prononcés par Joseph, et que l’Eglise a authentifiés. Louis XIV l’année suivante, le 19 mars 1661, 10 jours après son accession au trône et après avoir pérégriné à Cotignac, consacra la France à Saint Joseph. Comment pourrions-nous caractériser cette belle figure biblique de Joseph ? Cet homme silencieux et caché. Je pourrai définir sa psychologie spirituelle par un seul trait : la pudeur. Notre monde est "voyeuriste". Tout doit se montrer, et tout se dire en permanence. Le succès des téléréalités, le règne de l’extimité, lorsqu’on affiche son intimité et ses états d’âme sur les réseaux sociaux, la surexposition médiatique de ses émotions et de l’image de soi… témoignent de l’impudeur. L’invasion des écrans plats relève, non seulement d’une prouesse technologique, mais aussi d’une révolution optique : l’image devient source de lumière, d’où la fascination qu’elle exerce. La science donne ainsi à l’impudeur les moyens de son emprise. L’impudeur, on la trouve, non seulement sur les moyens de communication sociale, mais aussi dans la rue par des modes vestimentaires indécents pour exciter le regard, dans la manière de mettre en scène son corps. L’impudeur touche aussi le monde artistique, jusqu’à porter atteinte à l’image de la personne, ou à la caricaturer. L’impudeur touche encore le monde médical, lorsque le patient ou le vieillard n’est plus considéré pour lui-même mais à travers sa maladie, son handicap, ses organes défaillants… L’impudeur, c’est l’instrumentalisation du corps, sa réduction à la seule fin de jouissance et de marchandisation. Au contraire, Joseph nous offre le témoignage de la pudeur. Une pudeur faite de silence, de réserve naturelle et de recueillement. Joseph préserve l’intimité de son fils adoptif, Jésus. Il respecte l’altérité de Marie son épouse, dans le mystère de sa conception virginale et de sa maternité divine. La pudeur de Joseph enveloppe la Sainte Famille et la protège. 


Cette pudeur de Joseph n’est ni la honte qui exprime un dégoût de soi, ni la pudibonderie, ni la pruderie qui affecte une réserve hautaine. La pudeur de Joseph est la garantie du mystère qui éclot en lui, le mystère de sa propre élection. Elle est la modification des sens, l’antidote de la vanité, la source de sa chasteté, le repli de sa prière. Il y a quelque chose dans la Sainte Famille qui ne sera jamais pleinement connaissable et maitrisable. Une part de secret qui réclame un effacement, et dans lequel se nichent, et la liberté de Dieu qui appelle, et la liberté de la réponse : l’amen de Jésus et le fiat de Marie. L’un et l’autre, Jésus et Marie, trouvent refuge dans la pudeur de Joseph. Non seulement Joseph a pratiqué la pudeur, mais il nous l’enseigne. A son école, j’apprends que le secret de mon âme ne sera jamais accessible à autrui, que le mouvement de retour sur soi rencontre une présence vivante que j’abrite, celle de Dieu ; présence intérieure et trinitaire qui justifie ma vie et qui est le point de départ de ma prière. L’attitude pudique à laquelle nous éduque Joseph, au contact de Marie et de Jésus, c’est aussi la délicatesse de rencontrer l’autre, sans l’accaparer. Joseph nous apprend que l’on peut aimer sans posséder. Cette abstinence de Joseph est faite d’écoute, d’attention intense vis-à-vis de Marie et de l’enfant Jésus qui lui a été confié. Cette modestie est une expression de la charité. La pudeur protège de la mainmise, de la prétention envahissante de tout savoir de l’autre, ou de tout dévoiler de soi-même. Elle est fille de l’obéissance. Elle atteste le primat de la grâce, et de la transcendance de Dieu. Elle est docilité face aux initiatives du Seigneur. La pudeur est l’humilité d’accepter que l’Esprit-Saint nous précède sur des chemins que nous n’avons pas balisés. En respectant le projet de Dieu à l’égard de Marie, jusqu’à consentir à se rétracter en toute discrétion (en la répudiant en secret), Joseph apporte un démenti à une virilité qui excluait la féminité, à une virilité masochiste, une volonté de puissance qui n’intègrerait pas la part de délicatesse et de fragilité que réclament son épouse et son enfant nouveau-né.

 

Toutes les formes de totalitarisme qui ont ensanglanté le 20ème siècle se sont nourries de l’exaltation de cette virilité dominatrice et destructrice qui conduit inexorablement à la déshumanisation parce qu’elle bannit la fragilité. Joseph nous parle de pudeur mais aussi de paternité. Les psychologues évoquent souvent la crise actuelle de la paternité. Lorsqu’on regarde l’évolution profonde de la société, on constate, non seulement un vieillissement considérable de la population européenne (dans 20 ans, 1 personne sur 3 aura plus de 50 ans), avec toutes les conséquences économiques et sociales que cette séniorisation implique, mais aussi, et paradoxalement, une puérilisation de l’homme contemporain. Dans un monde frappé par « l’éclipse de Dieu » (Benoît XVI), cette infantilisation se caractérise par l’illusion de la toute puissance, de la souveraineté de l’individu, et par la recherche de la satisfaction immédiate et narcissique des désirs. Il y a infantilisation, car la figure du père s’est éloignée. Le père s’est désengagé. Il est ailleurs. Il est quelquefois devenu le grand frère, le confident plus que le référent. Ou au contraire, son autorité a viré en autoritarisme. C’est le père cruel qui exerce la violence et la coercition, le père castrateur ou fouettard qui aliène et écrase. Cette crise de la paternité est sur un fond de montée en puissance du « maternage », de besoin de « cocooning », de relations chaudes et fusionnelles. En s’adossant sur la théorie du genre, de nombreuses études fleurissent des études sur le déclin de la masculinité. Je pense au livre d’Anne-Marie Slaughter, « La fin des hommes », ou à la thèse d’Hanna Rosin « Le temps des femmes », ou encore à l’émergence de la culture androgyne. Il y a déjà quelques années, le film « Trois hommes et un couffin », présente des pères qui câlinent, usurpant à la mère son rôle. Ces images détériorées de la paternité s’expliquent en partie par le brouillage des identités sexuelles. Elles sont porteuses de germes de violence, de névroses et de pathologies. Elles induisent l’homosexualité. Elles détériorent également l’image de Dieu qui est un Père.

 

Joseph de Nazareth nous invite à réhabiliter l’identité masculine du père. La maternité est un acte d’incarnation, la paternité est un acte d’adoption. La mère « connaît », c’est-à-dire, étymologiquement, c’est d’elle que l’enfant naît. Le père, lui, « reconnaît ». Le père bénit l’enfant. Il lui révèle et lui confirme son unicité, sa distinction. Car la vocation du père est de nommer, c’est-à-dire de donner une identité. Par l’imposition du nom de famille, il transmet l’héritage ; par la désignation du prénom, il signifie la singularité. La femme qui vit l’extraordinaire aventure de l’engendrement physique, porte en elle une certitude à laquelle le père n’aura jamais pleinement accès. Car toute maternité est à dominante d’intériorité. Elle est sécurisante et nourrissante. Quelque part, l’enfant gardera toujours la trace, parfois la nostalgie, des entrailles qui l’ont hébergé. Le père, lui, souligne la séparation. Le père engendre de l’extérieur. Sa mission, c’est d’initier son fils à la vie sociale par des apprentissages et par des rites. Initier implique d’inscrire l’enfant dans une lignée, une histoire, une antécédence. C’est pourquoi l’Evangile de Matthieu évoque la figure de Joseph à l’intérieur d’une généalogie. Tout autant qu’un espace d’expérience de l’altérité, la cellule familiale est un lieu de mémoire, une mémoire tellement indispensable dans un monde amnésique qui a perdu ses racines. Le drame du projet de loi actuel sur l’adoption d’enfants par des couples homosexuels est, non seulement de priver l’enfant de l’altérité sexuelle dissymétrique des parents, tellement nécessaire à sa construction psychique, mais aussi de l’amputer de l’accès à son origine, à la généalogie qui constitue son identité. Joseph assume pleinement cette diaconie de la transmission. Il apprendra à Jésus adolescent, le métier de charpentier. Il lui enseignera, comme à tout enfant juif, la Tora, la loi divine… Cette loi qui redit à l’homme sa limite, la frontière qui le sépare de Dieu et, en même temps, qui l’unit à autrui, cette loi qui rappelle à chacun les principes d’humanité et de sociabilité. En effet, la loi ordonne l’enfant à l’objectivité de la raison, à dépasser le sentiment, à s’exonérer du narcissisme et de la relation fusionnelle avec la mère. Comme tout père, la mission de Joseph sera de promouvoir l’envol de son enfant dans l’aventure de la vie afin qu’il devienne sujet de sa propre histoire, qu’il apprivoise sa singularité, qu’il s’ouvre à l’avenir et aux autres, à son destin d’homme. Et cet engendrement est douloureux, comme le rapporte la scène du recouvrement.

 

Le propre de la paternité est d’exercer l’autorité. Autorité au sens étymologique, c’est faire « grandir ». Cette fonction paternelle n’est pas innée. On nait d’abord fils, on devient père plus tard. Eduquer, ne serait-ce pas apprendre à un fils à être fils, afin qu’il ait des chances un jour, de devenir père ? On pourrait ainsi comprendre, au sens pédagogique, cette parole de Jésus : « Nul ne va au Père, si ce n’est par le Fils » (Jn 14,6). Trop d’exemples actuels témoignent que l’on peut entraver le lent travail d’élaboration psychologique et spirituel de la maturité d’un jeune. On peut voler à un jeune son enfance en le traitant trop tôt comme un adulte, en l’exemptant de la loi qui ordonne la raison en vue du bien commun, en renonçant à la discipline et à l’effort constructeur qui permet d’accéder au réalisme du quotidien et à l’altérité. Joseph a exercé sa tâche paternelle dans l’abnégation, à partir d’un double renoncement : en premier lieu, un renoncement à la paternité naturelle vis-à-vis de Jésus qui n’est pas engendré de sa chair ; en second lieu, un renoncement à l’union charnelle vis-à-vis de Marie, puisqu’elle a conçu sans lui, par l’opération du Saint Esprit. C’est à l’intérieur de ce double renoncement que Joseph devient le père nourricier du Fils du Père éternel. En Jésus, Dieu a voulu obéir à un homme. Jésus obéit à Joseph qui lui-même, obéit au Père. Joseph connaissait la supériorité de son inférieur. Et c’est à l’intérieur de cette connaissance que se niche sa profonde humilité. En lui conférant le nom de Jésus, comme le rapporte St Matthieu (première annonce de la Bonne Nouvelle) ; en faisant couler les premières gouttes de sang de Jésus lors de sa circoncision, en prélude à sa Passion ; en sauvant l’auteur du salut de la colère d’Hérode par la fuite en Egypte. Joseph initie providentiellement son fils adoptif à sa mission rédemptrice, à sa vocation sacrificielle et sacerdotale. Mais il exerce cette mission prophétique toujours à l’arrière scène en s’effaçant de plus en plus, comme à reculons, jusqu’à ce que le Christ prenne toute la place, jusqu’à ce que, comme le Baptiste, il disparaisse tout à fait de l’Evangile alors que Jésus entre dans son ministère public.

 

A ceux qui l’aiment, Dieu n’est pas simplement présent en eux. Il est encore « manifesté » à travers eux. Quelque chose de lui devient visible aux autres à partir de l’étincelle de son amour qui palpite dans le cœur de ses témoins. Ainsi Joseph, qui s’est approché si près de son Fils, réfracte jusqu’à nous la lumière de Jésus. En ce jour, la foi de Joseph nous parle de la pudeur de Dieu et de son infinie paternité.

 

+ Dominique Rey Sanctuaire du Bessillon à Cotignac, le 16 mars 2013

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16 février 2008 6 16 /02 /février /2008 09:07

Discours que Benoît XVI aurait dû prononcer le 17 janvier 2008 à l'université de la Sapienza à Rome. Tout comme le cours magistral - et nous le répétons, extrêmement important - à l'Université de Ratisbonne, cette nouvelle leçon restera dans l’histoire de l’Eglise. Jamais l'Eglise ne se taira pour proclamer la Vérité du Christ, même si cela comporte des peines, des insultes et des offenses. L'Epoux a été crucifié à mort pour accomplir la Vérité. Aujourd'hui, à travers son Epouse Mystique qu'est l'Eglise, c'est sa Sainte Passion qui continue dans notre histoire...

 
 
 
 
Monsieur le Recteur Magnifique,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Autorités politiques et civiles,
Illustres professeurs et membres du personnel technique et administratif,
Chers jeunes étudiants !
 
C'est pour moi un motif de profonde joie de rencontrer la communauté de la « Sapienza - Université de Rome », à l'occasion de l'inauguration de l'Année académique. Depuis désormais plusieurs siècles cette Université marque le chemin et la vie de la ville de Rome, en faisant fructifier les meilleures énergies intellectuelles dans tous les domaines du savoir. Que ce soit à l'époque où, après sa fondation voulue par le Pape Boniface VIII, l'institution dépendait directement de l'Autorité ecclésiastique, ou successivement, lorsque le Studium Urbis s'est développé comme institution de l'Etat italien, votre communauté universitaire a conservé un haut niveau scientifique et culturel, qui l'inscrit parmi les universités les plus prestigieuses du monde. L'Eglise de Rome regarde depuis toujours avec sympathie et admiration ce centre universitaire, reconnaissant son engagement, parfois difficile et laborieux, pour la recherche et la formation des nouvelles générations. Ces dernières années, des moments significatifs de collaboration et de dialogue n'ont pas manqué. Je voudrais rappeler, en particulier, la rencontre mondiale des Recteurs à l'occasion du Jubilé des Universités, qui a vu votre communauté prendre en charge non seulement l'accueil et l'organisation, mais surtout la proposition prophétique et complexe de l'élaboration d'un « nouvel humanisme pour le troisième millénaire ». J'ai à cœur, en cette circonstance, d'exprimer ma gratitude pour l'invitation qui m'a été adressée à venir dans votre université pour y tenir une leçon. Dans cette perspective, je me suis tout d'abord posé la question : que peut et que doit dire un Pape en une occasion comme celle-ci ? Dans ma leçon à Ratisbonne, j'ai parlé, bien sûr, en tant que Pape, mais j'ai surtout parlé en qualité d'ancien professeur de cette université, en cherchant à relier les souvenirs et l'actualité. A l'Université la « Sapienza », l'antique université de Rome, je suis cependant invité en tant qu'Evêque de Rome, et je dois donc parler comme tel. Certes, la « Sapienza » était autrefois l'Université du Pape, mais aujourd'hui c'est une université laïque avec cette autonomie qui, à partir de son concept même de fondation, a toujours fait partie de l'université, qui doit exclusivement être liée à l'autorité de la Vérité. Dans sa liberté à l'égard de toute autorité politique et ecclésiastique, l'université trouve sa fonction particulière, précisément aussi pour la société moderne, qui a besoin d'une institution de ce genre. Je reviens à ma question de départ : que peut et que doit dire le Pape au cours de la rencontre avec l'université de sa ville ? En réfléchissant à cette question, il m'a semblé qu'elle en contenait deux autres, dont la clarification devrait toute seule conduire à la réponse. En effet, il faut se demander : quelle est la nature de la mission de la papauté ? Et encore : Quelle est la nature de la mission de l'université ? Je ne voudrais pas, en ce lieu, vous retenir par de longs discours sur la nature de la papauté. Une brève explication suffira. Le Pape est tout d'abord l'évêque de Rome et, comme tel, en vertu de la succession à l'Apôtre Pierre, il possède une responsabilité épiscopale à l'égard de l'Eglise catholique tout entière. Le terme « évêque-episkopos », qui dans sa première signification renvoie à l'idée de « surveillant», a déjà été fondue dans le Nouveau Testament avec le concept biblique de Pasteur : il est celui qui, d'un point d'observation surélevé, regarde l'ensemble, en prenant soin du bon chemin et de la cohésion de l'ensemble. C'est pourquoi cette définition de sa tâche oriente tout d'abord le regard vers l'intérieur de la communauté des croyants. L'Evêque - le Pasteur - est l'homme qui prend soin de cette communauté ; celui qui la conserve unie en la gardant sur le chemin vers Dieu, indiqué selon la foi chrétienne par Jésus - mais pas seulement indiquée : Il est lui-même le chemin pour nous. Mais cette communauté dont l'Evêque prend soin - qu'elle soit grande ou petite - vit dans le monde ; ses conditions, son chemin, son exemple et sa parole influent inévitablement sur tout le reste de la communauté humaine dans son ensemble. Plus celle-ci est grande, plus ses bonnes conditions ou sa dégradation éventuelle se répercuteront sur l'ensemble de l'humanité. Nous voyons aujourd'hui très clairement de quelle manière les conditions des religions et la situation de l'Eglise - ses crises et ses renouvellements - agissent sur l'ensemble de l'humanité. C'est pourquoi le Pape, précisément comme Pasteur de sa communauté, est également devenu toujours plus une voix de la raison éthique de l'humanité.
 
Une objection apparaît cependant immédiatement ici, selon laquelle le Pape, de fait, ne parlerait pas vraiment sur la base de la raison éthique, mais tirerait ses jugements de la foi et ne pourrait donc pas prétendre qu'ils soient valables pour ceux qui ne partagent pas cette foi. Nous devrons encore revenir sur ce thème, car c'est la question absolument fondamentale qui est posée là : qu'est-ce que la raison ? Comment une affirmation - surtout une norme morale - peut-elle se démontrer « raisonnable » ? A ce point, je ne voudrais pour le moment que brièvement observer que John Rawls, bien que niant à des doctrines religieuses compréhensives le caractère de la raison « publique », voit toutefois dans leur raison « non publique » au moins une raison qui ne pourrait pas, au nom d'une rationalité endurcie par le sécularisme, être simplement méconnue par ceux qui la soutiennent. Il voit un critère de cet aspect raisonnable, entre autres, dans le fait que de telles doctrines dérivent d'une tradition responsable et motivée, dans lesquelles au cours des temps ont été développées des argumentations suffisamment valables pour soutenir la doctrine relative. Dans cette affirmation, il me semble important de reconnaître que l'expérience et la démonstration au cours de générations, le fond historique de la sagesse humaine, sont également un signe de son caractère raisonnable et de sa signification durable. Face à une raison a-historique qui cherche à se construire toute seule uniquement dans une rationalité a-historique, la sagesse de l'humanité comme telle - la sagesse des grandes traditions religieuses - est à valoriser comme une réalité que l'on ne peut pas impunément jeter au panier de l'histoire des idées.
 
Revenons à la question de départ. Le Pape parle comme le représentant d'une communauté de croyants dans laquelle, au cours des siècles de son existence, a mûri une sagesse déterminée de la vie ; il parle comme le représentant d'une communauté qui conserve en soi un trésor de connaissance et d'expérience éthiques, qui est important pour l'humanité tout entière : en ce sens, il parle comme le représentant d'une raison éthique. Mais on doit alors se demander : qu'est-ce que l'université ? C'est une question immense, à laquelle, encore une fois, je ne peux chercher à répondre qu'en style presque télégraphique, en effectuant quelques observations. Je pense que l'on peut dire que la véritable origine profonde de l'université se trouve dans la soif de connaissance qui est propre à l'homme. Il veut savoir ce qu'est tout ce qui l'entoure. Il veut la Vérité. C'est dans ce sens que l'on peut voir l'interrogation de Socrate comme l'impulsion à partir de laquelle est née l'université occidentale. Je pense, par exemple - pour ne mentionner qu'un texte - au dialogue avec Euthyphron, qui, face à Socrate défend la religion mythique et sa dévotion. Socrate oppose à ce point de vue la question suivante : « Tu crois sérieusement qu'entre les dieux il y a des querelles, des haines, des combats... Euthyphron, devons-nous recevoir toutes ces choses comme bonnes ? » (6 b - c). Dans cette question apparemment peu pieuse - qui chez Socrate dérivait cependant d'une religiosité plus profonde et plus pure, de la recherche du Dieu vraiment divin - les chrétiens des premiers siècles se sont reconnus eux-mêmes, ainsi que leur chemin. Ils n'ont pas accueilli leur foi de manière positiviste, ou comme une issue à des désirs non satisfaits ; ils l'ont comprise comme la dissipation du brouillard de la religion mythologique, pour faire place à la découverte de ce Dieu qui est Raison créatrice et, dans le même temps, Raison-Amour. C'est pourquoi, l'interrogation de la raison sur le Dieu le plus grand, ainsi que sur la véritable nature et le véritable sens de l'être humain n'était pas pour eux une forme problématique de manque de religiosité, mais faisait partie de l'essence de leur façon d'être religieux. Ils n'avaient donc pas besoin de répondre à l'interrogation socratique, ou de la mettre de côté, mais ils pouvaient et devaient même accueillir et reconnaître comme une partie de leur identité la recherche difficile de la raison, pour parvenir à la connaissance de la vérité tout entière. C'est ainsi que pouvait et devait même naître dans le cadre de la foi chrétienne, dans le monde chrétien, l'université. Il est nécessaire d'accomplir un pas supplémentaire. L'homme veut connaître, il veut la Vérité. La Vérité est avant tout un élément en relation avec le fait de voir, de comprendre, avec la theoría, comme l'appelle la tradition grecque. Mais la Vérité n'est jamais seulement théorique. Augustin, en établissant une corrélation entre les Béatitudes du Discours sur la Montagne et les dons de l'Esprit mentionnés dans Isaïe 11, a affirmé une réciprocité entre « scientia » et « tristitia »: le simple savoir, dit-il, rend triste. Et de fait - celui qui voit et qui apprend seulement tout ce qui a lieu dans le monde, finit par devenir triste. Mais la Vérité signifie davantage que le savoir : la connaissance de la vérité a pour objectif la connaissance du bien. Tel est également le sens de l'interrogation socratique : quel est le bien qui nous rend vrais ? La Vérité nous rend bons, et la bonté est vraie : tel est l'optimisme qui est contenu dans la foi chrétienne, car à celle-ci a été accordée la vision du Logos, de la Raison créatrice qui, dans l'incarnation de Dieu, s'est en même temps révélée comme le Bien, comme la Bonté elle-même.
 
http://img.over-blog.com/319x598/0/21/41/34/beno-t-xvi/benoit-XVI.jpgDans la théologie médiévale, il y eut un débat approfondi sur le rapport entre théorie et pratique, sur la juste relation entre connaître et agir - un débat que nous ne devons pas développer ici. De fait, l'université médiévale avec ses quatre Facultés présente cette corrélation. Commençons par la Faculté qui, selon la conception de l'époque, était la quatrième, la Faculté de médecine. Même si elle était considérée davantage comme un « art » que comme une science, toutefois, son inscription dans le cosmos de l'universitas signifiait clairement qu'on l'inscrivait dans le domaine de la rationalité, que l'art de guérir était sous la conduite de la raison et se trouvait soustrait au domaine de la magie. Guérir est une tâche qui requiert toujours davantage que la simple raison, mais c'est précisément pour cela qu'il a besoin de la connexion entre savoir et pouvoir, il a besoin d'appartenir à la sphère de la ratio. Inévitablement apparaît la question de la relation entre pratique et théorie, entre connaissance et action dans la Faculté de droit. Il s'agit de donner une juste forme à la liberté humaine qui est toujours liberté dans la communion réciproque : le droit est le présupposé de la liberté et non son antagoniste. Mais se pose ici immédiatement la question : comment définir les critères de la justice qui rendent possible une liberté vécue ensemble et permettent à l'homme d'être bon ? Ici un saut dans le présent s'impose : il s'agit de la question sur la manière dont peut être trouvée une norme juridique qui puisse constituer un ordonnancement de la liberté, de la dignité humaine et des droits de l'homme. C'est la question qui nous intéresse aujourd'hui dans les processus démocratiques de formation de l'opinion et qui dans le même temps nous angoisse comme une question pour l'avenir de l'humanité. Jürgen Habermas exprime, selon moi, un vaste consensus de la pensée actuelle, lorsqu'il dit que la légitimité d'une charte constitutionnelle, en tant que présupposé de la légalité, dériverait de deux sources : de la participation politique égalitaire de tous les citoyens et de la forme raisonnable sous laquelle les controverses politiques sont résolues. Par rapport à cette « forme raisonnable » il note qu'elle ne peut pas être seulement une lutte pour des majorités arithmétiques, mais qu'elle doit se caractériser comme un « processus d'argumentation sensible à la vérité » (wahrheitssensibles Argumentationsverfahren). C'est une belle formule, mais c'est quelque chose d'extrêmement difficile à transformer en pratique politique. Les représentants de ce « processus d'argumentation » public sont - nous le savons - principalement les partis en tant que responsables de la formation de la volonté politique. En effet, ils auront immanquablement en vue en particulier l'obtention de majorités et ainsi ils regarderont presque inévitablement à des intérêts qu'ils promettent de satisfaire ; toutefois, ces intérêts sont souvent particuliers et ne sont pas véritablement au service de l'ensemble. La sensibilité pour la Vérité est toujours à nouveau renversée par la sensibilité pour les intérêts. Je trouve significatif qu'Habermas parle de la sensibilité pour la Vérité comme d'un élément nécessaire dans le processus d'argumentation politique, en réinscrivant ainsi le concept de Vérité dans le débat philosophique et dans le débat politique. Mais alors, la question de Pilate devient inévitable : qu'est-ce que la Vérité ? Et comment la reconnaît-on ? Si pour cela on renvoie à la « raison publique », comme le fait Rawls, il s'ensuit nécessairement aussi la question : qu'est-ce qui est raisonnable ? Comment démontre-t-on qu'une raison est une raison vraie ? Dans tous les cas, il devient à partir de là évident que, dans la recherche du droit de la liberté, de la Vérité de la juste coexistence il faut écouter des instances différentes de ces partis ou des groupes d'intérêts, sans pour cela vouloir le moins du monde contester leur importance. Nous revenons ainsi à la structure de l'université médiévale. A côté de celle de droit, il y avait les Facultés de philosophie et de théologie, auxquelles étaient confiée la recherche sur l'existence humaine dans sa totalité et avec celle-ci le devoir de conserver vive la sensibilité pour la Vérité. On pourrait même dire que cela est le sens permanent et véritable de ces deux Facultés : être des gardiens de la sensibilité pour la Vérité, ne pas permettre que l'homme se détache de la recherche de la Vérité. Mais comment peuvent-elles remplir cette tâche ? Il s'agit d'une question sur laquelle il faut toujours se pencher à nouveau et qui n'est jamais posée et résolue de manière définitive. Ainsi, ici, je ne peux pas non plus offrir véritablement une réponse, mais plutôt une invitation à demeurer en chemin avec cette question - en chemin avec les grands qui au fil de l'histoire ont lutté et cherché, avec leurs réponses et leur inquiétude pour la Vérité, qui renvoie continuellement au-delà de toute réponse particulière.
 
Théologie et philosophie forment en cela un couple de jumeaux très particulier, dans lequel aucune des deux ne peut être totalement détachée de l'autre et, toutefois, chacune doit conserver sa propre tâche et sa propre identité. Le mérite historique revient à Saint Thomas d'Aquin - face à la réponse différente des Pères en raison de leur contexte historique - d'avoir mis en lumière l'autonomie de la philosophie et avec elle le droit et la responsabilité propres de la raison qui s'interroge sur la base de ses forces. En se différenciant des philosophies néoplatoniciennes, où la religion et la philosophie s'interpénétraient de manière inséparable, les Pères avaient présenté la foi chrétienne comme la vraie philosophie, en soulignant également que cette foi correspond aux exigences de la raison à la recherche de la Vérité ; que la foi est le « oui » à la Vérité, par rapport aux religions mythiques devenues une simple habitude. Toutefois ensuite, au moment de la naissance de l'université, ces religions n'existaient plus en Occident, mais uniquement le christianisme, et il fallait donc souligner de manière nouvelle la responsabilité propre de la raison, qui ne disparaît pas dans la foi. Thomas œuvra à un moment privilégié : pour la première fois, les écrits philosophiques d'Aristote étaient accessibles dans leur intégralité ; les philosophes juifs et arabes étaient présents, comme des appropriations et des continuations spécifiques de la philosophie grecque. Ainsi, le christianisme, dans un nouveau dialogue avec la raison des autres, à la rencontre desquels il allait, dut lutter pour son propre caractère raisonnable. La Faculté de philosophie que l'on appelait la « Faculté des artistes » et qui, jusqu'alors, n'avait été qu'une propédeutique à la théologie, devint alors une véritable Faculté, un partenaire autonome de la théologie et de la foi qui se réfléchissait en elle. Nous ne pouvons pas approfondir ici le débat passionnant qui en découla. Je dirais que l'idée de Saint Thomas sur le rapport entre philosophie et théologie pourrait être exprimée dans la formule trouvée par le Concile de Chalcédoine pour la christologie : philosophie et théologie doivent entretenir entre elles des relations « sans confusion et sans séparation ». « Sans confusion et sans séparation » signifie que chacune des deux doit conserver son identité. La philosophie doit rester véritablement une recherche de la raison dans sa liberté et dans sa responsabilité ; elle doit voir ses limites et précisément ainsi sa grandeur et son étendue. La théologie doit continuer à puiser à un trésor de connaissance qu'elle n'a pas inventée elle-même, qui la dépasse toujours et qui, ne pouvant jamais totalement s'épuiser par la réflexion, précisément pour cela met toujours à nouveau en marche la pensée. Avec le « sans confusion » s'applique également le « sans séparation »: la philosophie ne recommence pas chaque fois du point zéro du sujet pensant de manière isolée, mais elle s'inscrit dans le grand dialogue du savoir historique, que celle-ci accueille et développe toujours à nouveau, de façon à la fois critique et docile ; mais elle ne doit pas non plus se fermer à ce que les religions et en particulier la foi chrétienne ont reçu et donné à l'humanité comme indication du chemin. L'histoire a démontré que parmi des choses dites par des théologiens au cours de l'histoire ou même traduites dans la pratique par les autorités ecclésiales, plusieurs étaient fausses et nous troublent aujourd'hui. Mais dans le même temps, il est vrai que l'histoire des saints, l'histoire de l'humanisme qui a grandi sur la base de la foi chrétienne démontre la vérité de cette foi en son noyau essentiel, en la rendant ainsi également une instance pour la raison publique. Bien sûr, beaucoup de ce que disent la théologie et la foi ne peut être approprié qu'à l'intérieur de la foi et ne peut donc pas se présenter comme une exigence pour ceux auxquels cette foi demeure inaccessible. Mais dans le même temps, il est vrai que le message de la foi chrétienne n'est jamais seulement une « comprehensive religious doctrine » au sens où l'entend Rawls, mais une force purificatrice pour la raison elle-même, qu'elle aide à être toujours davantage elle-même. Le message chrétien, sur la base de ses origines, devrait être toujours un encouragement vers la Vérité et ainsi une force contre la pression du pouvoir et des intérêts.
 
Or, jusqu'à présent, j'ai uniquement parlé de l'université médiévale, en tentant toutefois de laisser transparaître la nature permanente de l'université et de sa tâche. A l'époque moderne, se sont ouvertes de nouvelles dimensions du savoir, qui sont mises en valeur dans l'université en particulier dans deux grands domaines : tout d'abord dans les sciences naturelles, qui se sont développées sur la base de la connexion entre l'expérimentation et une rationalité présupposée de la matière ; en second lieu, dans les sciences historiques et humanistes, où l'homme, en scrutant le miroir de son histoire et en éclaircissant les dimensions de sa nature, tente de mieux se comprendre lui-même. Dans ce développement s'est ouverte à l'humanité non seulement une mesure immense de savoir et de pouvoir, mais la connaissance et la reconnaissance des droits et de la dignité de l'homme ont également grandi, et nous pouvons être reconnaissants de cela. Toutefois, le chemin de l'homme ne peut jamais se dire complètement achevé et le danger de la chute dans le manque d'humanité n'est jamais tout simplement conjuré : nous le voyons bien dans le panorama de l'histoire actuelle ! Le danger pour le monde occidental - pour ne parler que de celui-ci - est aujourd'hui que l'homme, justement en considération de la grandeur de son savoir et de son pouvoir, baisse les bras face à la question de la Vérité. Et cela signifie que dans le même temps la raison, en fin de compte, se plie face à la pression des intérêts et à l'attraction de l'utilité, contrainte de la reconnaître comme critère ultime. Du point de vue de la structure de l'université, il existe un danger que la philosophie, ne se sentant plus en mesure de remplir son véritable devoir, se dégrade en positivisme ; que la théologie avec son message adressé à la raison, soit confinée dans la sphère privée d'un groupe plus ou moins grand. Toutefois, si la raison - inquiète de sa pureté présumée - devient sourde au grand message qui lui vient de la foi chrétienne et de sa sagesse, elle se dessèche comme un arbre dont les racines n'atteignent plus les eaux qui lui donnent la vie. Elle perd le courage de la vérité et, ainsi, ne grandit plus, mais devient plus petite. Appliquée à notre culture européenne, cela signifie : si elle veut seulement se construire sur la base du cercle de ses propres argumentations et de ce qui à un moment donné la convainc et - inquiète de sa laïcité - si elle se détache des racines qui lui ont donné vie, alors, elle ne devient pas plus raisonnable et plus pure, mais elle se décompose et se brise.
 
Je retourne ainsi à mon point de départ. Qu'est-ce que le Pape a à faire ou à dire à l'université ? Assurément, il ne doit pas tenter d'imposer aux autres de manière autoritaire la foi, qui peut seulement être donnée en liberté. Au-delà de son ministère de pasteur dans l'Eglise et sur la base de la nature intrinsèque de ce ministère pastoral, il est de son devoir de maintenir vive la sensibilité pour la Vérité ; inviter toujours à nouveau la raison à se mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu et, sur ce chemin, la solliciter à découvrir les lumières utiles apparues au fil de l'histoire de la foi chrétienne et à percevoir ainsi Jésus Christ comme la lumière qui éclaire l'histoire et aide à trouver le chemin vers l'avenir.
 

Benoît XVI - Du Vatican, le 17 janvier 2008
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© Copyright du texte original plurilingue : Librairie Editrice du Vatican
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8 décembre 2007 6 08 /12 /décembre /2007 20:18

Ci-dessous, l’homélie du cardinal Dias (Préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples), prononcée ce matin à Lourdes en la Basilique Saint-Pie X à l’occasion de l’ouverture solennelle du Jubilé du 150ème anniversaire des Apparitions…

 
 
 
 
« Nous voici rassemblés aux pieds de la Vierge Marie pour inaugurer l’Année Jubilaire en préparation pour le 150ème anniversaire de ses apparitions en ce lieu béni. Je vous porte une salutation très cordiale de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI qui m’a chargé de vous faire part de son amour et sollicitude paternel, de vous assurer de ses prières et de vous donner sa bénédiction apostolique. Comme pèlerins réunis dans l’amour du Christ, nous voulons rappeler avec gratitude et affection les apparitions qui ont eu lieu ici à Lourdes en 1858. Ensemble cherchons à sentir les palpitations du cœur maternel de notre chère Maman céleste, de rappeler ses paroles et d’écouter le message qu’elle nous propose encore aujourd’hui. Nous connaissons bien l’histoire de ces apparitions. La Sainte Vierge est descendue du Ciel comme une mère très préoccupée pour ses fils et filles qui vivaient dans le péché, loin de son Fils Jésus. Elle est apparue à la Grotte de Massabielle, qui à l’époque était un marais où paissaient les cochons, et c’est précisément là qu’elle a voulu faire élever un sanctuaire, pour indiquer que la grâce et la miséricorde de Dieu doivent triompher sur le misérable marais des péchés humains. Tout près du lieu des apparitions, la Vierge a fait jaillir une source d’eau abondante et pure, que les pèlerins boivent et portent avec tant de dévotion dans le monde entier, signifiant le désir de notre Mère affectueuse de faire répandre son amour et le salut de son Fils jusqu’aux extrémités de la terre. Enfin, de cette Grotte bénie la Vierge Marie a lancé un appel pressant à tous pour prier et faire pénitence afin d’obtenir la conversion des pauvres pécheurs.
 
 
 
 
Le message de la Vierge aujourd’hui
 
On peut se demander : quelle signification peut avoir le message de Notre-Dame de Lourdes pour nous aujourd’hui ? J’aime situer ces apparitions dans le plus large contexte de la lutte permanente et féroce existant entre les forces du bien et du mal dès le commencement de l’histoire de l’humanité dans le Jardin du Paradis, et qui continuera jusqu’à la fin des temps. Les apparitions de Lourdes sont, en effet, parmi les premières de la longue chaîne des apparitions de Notre-Dame qui a commencé 28 ans auparavant, en 1830, à Rue du Bac, à Paris, annonçant l’entrée décisive de la Vierge Marie au cœur des hostilités entre elle et le diable, comme il est décrit dans la Bible, dans les livres de la Genèse et de l’Apocalypse. La Médaille, dite miraculeuse, que la Vierge fit graver en cette circonstance la représentait avec les bras ouverts d’où sortaient des rayons lumineux, signifiant les grâces qu’elle distribuait au monde entier. Ses pieds reposaient sur le globe terrestre et écrasaient la tête du serpent, le diable, indiquant la victoire que la Vierge emportait sur le Malin et ses forces du mal. Autour de l’image on lisait l’invocation : « O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». Il est remarquable que cette grande vérité de la conception immaculée de Marie ait été affirmée ici 24 ans avant que le Pape Pie IX l’ait définie comme dogme de foi (1854) : quatre ans plus tard ici à Lourdes, Notre-Dame a voulu elle-même révéler à Bernadette qu’elle était l’Immaculée Conception. Après les apparitions de Lourdes, la Sainte Vierge n’a pas cessé de manifester ses vives préoccupations maternelles pour le sort de l’humanité en ses diverses apparitions dans le monde entier. Partout, elle a demandé prières et pénitence pour la conversion des pécheurs, car elle prévoyait la ruine spirituelle de certains pays, les souffrances que le Saint Père aurait à subir, l’affaiblissement général de la foi chrétienne, les difficultés de l’Eglise, la montée de l’Antéchrist et ses tentatives pour remplacer Dieu dans la vie des hommes : tentatives qui, malgré leurs succès éclatants, seraient toutefois vouées à l’échec. Ici, à Lourdes, comme partout dans le monde, la Vierge Marie est en train de tisser un immense réseau de ses fils et filles spirituels dans le monde entier pour lancer une forte offensive contre les forces du Malin, pour l’enfermer et préparer ainsi la victoire finale de son Fils divin, Jésus Christ. La Vierge Marie nous invite encore une fois aujourd’hui à faire partie de sa légion de combat contre les forces du mal. Comme signe de notre participation à son offensive, elle demande, entre autres, la conversion du cœur, une grande dévotion à la Sainte Eucharistie, la récitation quotidienne du chapelet, la prière sans cesse et sans hypocrisie, l’acceptation des souffrances pour le salut du monde. Cela pourrait sembler être des petites choses, mais elles sont puissantes dans les mains de Dieu auquel rien n’est impossible. Comme le jeune David qui, avec une petite pierre et une fronde, a abattu le géant Goliath venu à sa rencontre armé d’une épée, d’une lance et d’un javelot (cf. 1 Sam 17,4-51), nous aussi, avec les petits grains de notre chapelet, nous pourrons affronter héroïquement les assauts de notre adversaire redoutable et le vaincre.
 
 
 
 
Comme Bernadette et avec elle
 
La lutte entre Dieu et son ennemi fait toujours rage, encore plus aujourd’hui qu’au temps de Bernadette, il y a 150 ans. Car le monde se trouve terriblement englouti dans le marais d’un sécularisme qui veut créer un monde sans Dieu; d’un relativisme (+) qui étouffe les valeurs permanentes et immuables de l’Evangile; et d’une indifférence religieuse qui reste imperturbable face au bien supérieur des choses qui concernent Dieu et l’Eglise. Cette bataille fait d’innombrables victimes dans nos familles et parmi nos jeunes. Quelques mois avant qu’il ne devienne le Pape Jean Paul II (9 novembre 1976), le Cardinal Karol Wojtyla disait : « Nous sommes aujourd’hui face au plus grand combat que l’humanité ait jamais vu. Je ne pense pas que la communauté chrétienne l’ait compris totalement. Nous sommes aujourd’hui devant la lutte finale entre l’Eglise et l’Anti-Eglise, entre l’Evangile et l’Anti-Evangile ». Une chose toutefois est certaine: la victoire finale est à Dieu et cela se vérifiera grâce à Marie, la Femme de la Genèse et de l’Apocalypse, qui combattra à la tête de l’armée de ses fils et filles contre les forces ennemies de Satan et écrasera la tête du serpent. A la Grotte de Massabielle la Vierge Marie nous a enseigné que le vrai bonheur se trouvera uniquement au ciel. « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre », a-t-elle dit à Bernadette. Et la vie de Bernadette l’a illustré assez clairement : elle, qui avait eu le privilège singulier de voir la Sainte Vierge, a été profondément marquée par la croix de Jésus, fut entièrement consumée par la tuberculose, et est morte, jeune, à l’âge de 35 ans.
 
En cette Année Jubilaire, remercions le Seigneur pour toutes les grâces corporelles et spirituelles qu’il a bien voulu concéder à tant de centaines de milliers de pèlerins en ce lieu saint, et par l’intercession de Sainte Bernadette, prions la Sainte Vierge pour nous fortifier dans le combat spirituel de chaque jour afin que nous puissions vivre en plénitude notre foi chrétienne en pratiquant les vertus qui distinguaient la Vierge Marie, fiat, magnificat et stabat: c’est-à-dire, une foi intrépide (fiat), une joie sans mesure (magnificat) et une fidélité sans compromis (stabat). O Marie, Notre-Dame de Lourdes, tu es bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de tes entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen ».
 
+ Cardinal Ivan Dias, le 8 décembre 2007 à Lourdes en la Basilique Saint Pie X
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28 octobre 2007 7 28 /10 /octobre /2007 15:21

« Chers frères et sœurs, aujourd’hui c’est l’Epiphanie ou aussi la Théophanie. Nous fêtons la splendeur de Dieu dans notre pauvreté humaine, qui s’est offerte dans cet enfant de Bethléem. A Noël nous avons fêté la venue de Dieu à la dérobée et dans la discrétion. Aujourd’hui nous expérimentons sa venue dans la pleine lumière de sa splendeur. Le ciel donne son étoile qui éclaire les trois rois d’Orient ; la terre donne toute la puissance lumineuse de son feu et en maints lieux jusqu’à aujourd’hui, l'Église bénit le feu de l’Epiphanie.

 

 

 

 

cardinal-joachim-meisner.jpg1. La lumière brille dans les ténèbres et ainsi elle met les ténèbres en crise, c'est-à-dire dans l’alternative de la clarté ou de l’obscurité. Les Mages d’Orient se montrent au roi de Jérusalem et s’enquièrent du roi nouveau-né. Par cette question, ils mettent le roi de Jérusalem en crise c’est-à-dire dans l’alternative du bien ou du mal. Il sait qu’il n’y a qu’un roi en Israël. Ainsi sa juridiction se relativise. Sa souveraineté se restreint. C’est ce que de tous temps Dieu réserve aux puissants de cette terre : Il relativise leurs prétentions absolues et il circonscrit leur autorité. Et il ne le fait pas que pour les puissants de cette terre ; Il le fait pour tout un chacun des hommes. Et Il nous met en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Ma vie, mon cœur, mon corps ne m’appartiennent pas. C’est Sa propriété. Je ne peux pas disposer de ma propre vie et de la vie d’autrui. Je peux seulement la recevoir en L’en remerciant. C'est caractéristique : quand l’homme ne s’accepte ni relatif ni limité, il rate sa vie : en premier lieu Hérode qui fait tuer les enfants de Bethléem, ensuite entre autres Hitler et Staline, qui ont anéanti des millions de gens, et aujourd'hui, à notre époque, les enfants à naître sont tués par millions. L’avortement et l’euthanasie sont les conséquences de cette rébellion présomptueuse à l'égard de Dieu. Ce ne sont pas des questions sociales, mais théologiques. Ici le premier Commandement entre en jeu : « Tu n’auras aucun dieu étranger à côté de moi » c’est-à-dire tu ne dois pas faire de toi-même un dieu qui s’arroge le droit de disposer de son corps et de la vie d’autrui. « La lumière brille dans les ténèbres » (Jean 1,15) : ce n’est pas un événement ingénu. Soit je l’accueille et ensuite j’avance à sa lumière dans le monde, soit je me ferme à lui et je m’enfonce encore plus dans les ténèbres.

 

2. La lumière met les ténèbres en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Cet Enfant change nos critères. Les trois saints rois cherchent un roi et ils ne trouvent ni palais, ni dynastie, ni gardes armés – rien de cela mais beaucoup moins : une mauvaise maison, une famille simple, un petit enfant. Dans le « peu » de Dieu est toujours contenu le « plus ». « Ici il y a plus qu’Abraham » dira plus tard le Christ de lui-même. Ici il y a plus qu’Aristote, ici il y a plus que [César] Auguste. Dans l’Ecce Homo les trois rois ont vu l’Ecce Deus : dans l’homme Jésus ils ont vu le Fils de Dieu qui est apparu dans notre monde. Nous participons à sa Royauté comme le dit St Pierre : « vous êtes un sacerdoce royal » (1 P 2, 9). Il rejoint ce monde et ses éléments dans lesquels Il se plonge par son baptême dans l’eau du Jourdain. Ainsi toutes les eaux de ce monde ont été vraiment touchées de sa Présence et même lorsque les hommes sombrent dans les profondeurs des mers, ils tombent dans les mains de Dieu. Et les mains de Dieu sont toujours de bonnes mains. Le psalmiste le reconnaît clairement : « je prends les ailes de l’aurore et me pose au-delà des mers ; même là ta main me conduit, ta main droite me saisit » (Ps 139, 9-10) On comprend que devant le terrible raz de marée en Asie du sud est, beaucoup de gens posent la question : « Où Dieu restait-il ? » et nous devons répondre « en plein milieu » - « En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28) dit l’apôtre. Où était Dieu au Golgotha ? Il était en plein milieu, dans la souffrance, car Il devenait lui-même le souffrant. Nous savons nos frères et sœurs péris dans l’océan Indien dans les mains de Dieu, et les survivants, dans nos mains, qui s’ouvriront maintenant à leur détresse.

 

3. La lumière met les ténèbres en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Dieu se fait homme et maintenant il se laisse trouver par nous, en descendant au niveau humain de Dieu. C’est ce que nous montrent les trois Mages d’Orient qui se mettent à genoux devant l’Enfant pour L’adorer. Les scribes de Jérusalem ont pu leur donner le renseignement exact sur le lieu où le roi nouveau-né devait venir au monde mais eux-mêmes ne sont pas sortis, ne se sont pas mis à genoux, et ne L’ont pas adoré. Ce n’étaient que des savants, pas des hommes de Dieu comme le devinrent les trois Mages dans leur adoration. L’homme ne s’approche jamais tant de Dieu que lorsqu’il se prosterne devant Dieu et L’adore. L’adoration met en lumière que Dieu n’est pas considéré ni même déconsidéré comme un étranger et un être lointain parfaitement extérieur au monde, mais qu’Il est reconnu comme Père des hommes et des étoiles tout aussi bien que Père des plus petites choses de la terre, de chaque souffle, de chaque mouvement, de chaque petit fait. Tout est paternel pour ceux qui sont vraiment filiaux. Le Pape Jean Paul II a invité à Cologne les jeunes du monde entier aux JMJ du 16 au 21 août de cette année et il en a énoncé le thème en rapport avec les trois Rois de la cathédrale de Cologne : « Nous sommes venus pour L’adorer ». L’homme n’est jamais aussi grand que lorsqu’il descend au niveau du Dieu fait homme et L’adore. Alors l’homme grandit au-delà de lui-même et l’on peut dire avec Marie dans le Magnificat : « Dieu fit pour moi des merveilles, Saint est son Nom » (Luc 1,49). Nous nous réjouissons des jeunes pèlerins du monde entier qui viennent chez nous sur les traces des trois Rois saints. Et nous prions qu’ils reviennent de Cologne meilleurs que lorsqu’ils y seront arrivés et qu’ils nous laissent à Cologne meilleurs que lorsque nous les y aurons accueillis.

 

4. L’Epiphanie de Dieu corrige les chemins des hommes. Les trois Mages d’Orient ont regagné leur patrie par un autre chemin. Qui rencontre Dieu est toujours poussé à corriger ses chemins. « Vos chemins ne sont pas mes chemins » (Isaïe 55,8) dit Dieu, mais « vos chemins doivent devenir Mes chemins ! »  « Vos pensées ne sont pas mes pensées » (Isaïe 55, 8), mais « vos pensées doivent devenir Mes pensées ! » - Voilà l’échéance de la conversion ! L’homme passe le temps de sa vie à aller de Dieu en correction, c’est  quelqu’un qui a besoin d’une instruction pour le chemin et d’un motif qui le mette en mouvement. Mère Térésa partit comme directrice à Calcutta pour enseigner l’anglais et les mathématiques dans une grande école pour filles. Et Dieu a corrigé son chemin si bien qu’elle devint la Mère Térésa des mourants sur les trottoirs et la mère des enfants nouveaux-nés dans les poubelles. L’archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla, prit un avion polonais pour aller au conclave à Rome en 1978 et il a dû ranger son billet de retour puisqu’il fut choisi comme Pape. Je crois que presque tous les hommes pourraient dire : « Dans ma vie tout s’est passé autrement que ce que j’avais pensé. La veille de mon ordination sacerdotale j’ai donné à Dieu un chèque en blanc où j’ai écrit : « J’irai partout où Tu m’enverras » . Naturellement je pensais seulement aux trois régions de notre diocèse d’Erfurt. Et je ne pensais à rien d’autre. Dieu ne nous mène jamais nulle part mais près de Lui – comme les trois rois saints.

 

5. La lumière met les ténèbres en crise, dans l’alternative du bien ou du mal. Ou nous accueillons la lumière et nous devenons meilleurs ou nous nous fermons à elle et nous ratons une chance, et nous éclairons moins et nous devenons plus opaques. Cette heure nous met pareillement en crise c’est-à-dire devant la décision. Cela je le sais avec la certitude de la foi. Personne ne doit revenir de notre cathédrale comme il y est entré mais soit plus lumineux, soit plus sombre. L’Epiphanie n’est pas [une fête] bénigne mais une injonction à changer en positif. Demandons à Dieu qu’il nous accorde la grâce de ce jour : « la lumière brille dans les ténèbres » Et dans cette lumière nous L’avons reconnu si bien qu’avec les mages nous nous agenouillons devant Lui pour L’adorer et lui offrir nos présents. Amen.

 

 

+ Joachim, Cardinal Meisner Archevêque de Cologne, 6 janvier 2005

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16 septembre 2006 6 16 /09 /septembre /2006 10:12
Texte intégral (à lire entièrement pour les plus accrochés !) que Sa Sainteté le Pape Benoît XVI a prononcé à l’Université de Ratisbonne, le mardi 12 septembre, dans le cadre de son voyage en Allemagne (9-14 septembre). Par son extrême importance, ce texte restera dans l’histoire de l’Eglise. Merci Benoît XVI !
 
 


 
 

Eminences, Messieurs les Recteurs, Excellences,
Mesdames, Messieurs!
 
C'est pour moi un moment de grande émotion de me trouver une nouvelle fois dans cette université et de pouvoir une nouvelle fois donner un cours. Mes pensées se tournent en même temps vers ces années où, après une belle période auprès de l'Institut supérieur de Freising, je commençai mon activité d'enseignant à l'université de Bonn. C'était encore - en 1959 - l'époque de l'ancienne université des professeurs ordinaires. Pour chacune des chaires, il n'existait ni assistants, ni dactylographes, mais en revanche il y avait un contact très direct avec les étudiants et surtout aussi entre les professeurs. L'on se rencontrait avant et après la leçon dans les salles des professeurs. Les relations avec les historiens, les philosophes, les philologues, et naturellement aussi entre les deux facultés de théologie étaient très étroites. Une fois par semestre, il y avait ce que l'on appelait le dies academicus, où les professeurs de toutes les facultés se présentaient devant les étudiants de toute l'université, permettant ainsi une expérience d'universitas - une chose à laquelle vous aussi, Monsieur le Recteur, vous avez fait récemment allusion - c'est-à-dire l'expérience du fait que nous tous, malgré toutes les spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer entre nous, formons un tout et travaillons dans le tout de l'unique raison dans ses diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également face à la responsabilité commune du juste usage de la raison, ce phénomène devenait une expérience vécue. Sans aucun doute, l'université était également fière de ses deux facultés de théologie. Il était clair qu'elles aussi, en s'interrogeant sur la dimension raisonnable de la foi, accomplissaient un travail qui nécessairement fait partie du « tout » de l'universitas scientiarum, même si tous pouvaient ne pas partager la foi, dont la relation avec la raison commune est l'objet du travail des théologiens. Cette cohésion intérieure dans l'univers de la raison ne fut même pas troublée lorsqu'un jour la nouvelle circula que l'un de nos collègues avait affirmé qu'il y avait un fait étrange dans notre université : deux facultés qui s'occupaient de quelque chose qui n'existait pas, de Dieu. Même face à un scepticisme aussi radical, il demeure nécessaire et raisonnable de s'interroger sur Dieu au moyen de la raison et cela doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi chrétienne : il s'agissait là d'une conviction incontestée, dans toute l'université. Tout cela me revint en mémoire récemment à la lecture de l'édition publiée par le professeur Theodore Khoury (Münster) d'une partie du dialogue que le docte empereur byzantin Manuel II Paléologue, peut-être au cours de ses quartiers d'hiver en 1391 à Ankara, entretint avec un Persan cultivé sur le christianisme et l'islam et sur la vérité de chacun d'eux. L'on présume que l'Empereur lui-même annota ce dialogue au cours du siège de Constantinople entre 1394 et 1402; ainsi s'explique le fait que ses raisonnements soient rapportés de manière beaucoup plus détaillées que ceux de son interlocuteur persan. Le dialogue porte sur toute l'étendue de la dimension des structures de la foi contenues dans la Bible et dans le Coran et s'arrête notamment sur l'image de Dieu et de l'homme, mais nécessairement aussi toujours à nouveau sur la relation entre - comme on le disait - les trois « Lois » ou trois « ordres de vie »: l'Ancien Testament - le Nouveau Testament - le Coran. Je n'entends pas parler à présent de cela dans cette leçon ; je voudrais seulement aborder un argument - assez marginal dans la structure de l'ensemble du dialogue - qui, dans le contexte du thème « foi et raison », m'a fasciné et servira de point de départ à mes réflexions sur ce thème. Dans le septième entretien (dialexis - controverse) édité par le professeur Khoury, l'empereur aborde le thème du djihad, de la guerre sainte. Assurément l'empereur savait que dans la sourate 2, 256 on peut lire : « Nulle contrainte en religion ! ». C'est l'une des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque Mahomet lui-même n'avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais naturellement l'empereur connaissait aussi les dispositions, développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la guerre sainte. Sans s'arrêter sur les détails, tels que la différence de traitement entre ceux qui possèdent le « Livre » et les « incrédules », l'empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s'adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l'épée la foi qu'il prêchait ». L'empereur, après s'être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable. La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l'âme. « Dieu n'apprécie pas le sang - dit-il -, ne pas agir selon la raison, “sun logô”, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de l'âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire quelqu'un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non de la violence et de la menace... Pour convaincre une âme raisonnable, il n'est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d'instrument pour frapper ni de quelque autre moyen que ce soit avec lequel on pourrait menacer une personne de mort...». L'affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. L’éditeur Théodore Khoury commente : pour l'empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu'à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l'obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l'homme devrait même pratiquer l'idolâtrie.
 
Ici s'ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation concrète de la religion, un dilemme qui aujourd'hui nous met au défi de manière très directe. La conviction qu'agir contre la raison serait en contradiction avec la nature de Dieu, est-elle seulement une manière de penser grecque ou vaut-elle toujours et en soi ? Je pense qu'ici se manifeste la profonde concordance entre ce qui est grec dans le meilleur sens du terme et ce qu'est la foi en Dieu sur le fondement de la Bible. En modifiant le premier verset du Livre de la Genèse, le premier verset de toute l'Ecriture Sainte, Jean a débuté le prologue de son Evangile par les paroles : « Au commencement était le Logos ». Tel est exactement le mot qu'utilise l'empereur : Dieu agit « sun logô », avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole - une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison. Jean nous a ainsi fait le don de la parole ultime sur le concept biblique de Dieu, la parole dans laquelle toutes les voies souvent difficiles et tortueuses de la foi biblique aboutissent, trouvent leur synthèse. Au commencement était le Logos, et le Logos est Dieu, nous dit l'Evangéliste. La rencontre entre le message biblique et la pensée grecque n'était pas un simple hasard. La vision de saint Paul, devant lequel s'étaient fermées les routes de l'Asie et qui, en rêve, vit un Macédonien et entendit son appel : « Passe en Macédoine, viens à notre secours ! » (cf. Ac 16, 6-10) — cette vision peut être interprétée comme un « raccourci » de la nécessité intrinsèque d'un rapprochement entre la foi biblique et la manière grecque de s'interroger. En réalité, ce rapprochement avait déjà commencé depuis très longtemps. Déjà le nom mystérieux du Dieu du buisson ardent, qui éloigne l'homme de l'ensemble des divinités portant de multiples noms en affirmant uniquement son « Je suis », son être, est, vis-à-vis du mythe, une contestation avec laquelle entretient une profonde analogie la tentative de Socrate de vaincre et de dépasser le mythe lui-même. Le processus qui a commencé auprès du buisson atteint, dans l'Ancien Testament, une nouvelle maturité pendant l'exil, lorsque le Dieu d'Israël, à présent privé de la Terre et du culte, s'annonce comme le Dieu du ciel et de la terre, en se présentant avec une simple formule qui prolonge la parole du buisson : « Je suis ». Avec cette nouvelle connaissance de Dieu va de pair une sorte de philosophie des lumières, qui s'exprime de manière drastique dans la dérision des divinités qui ne serait que l'œuvre de la main de l'homme (cf. Ps 115). Ainsi, malgré toute la dureté du désaccord avec les souverains grecs, qui voulaient obtenir par la force l'adaptation au style de vie grec et à leur culte idolâtre, la foi biblique allait intérieurement, pendant l'époque hellénistique, au devant du meilleur de la pensée grecque, jusqu'à un contact mutuel qui s'est ensuite réalisé en particulier dans la littérature sapientiale tardive. Aujourd'hui, nous savons que la traduction grecque de l'Ancien Testament réalisée à Alexandrie — la « Septante » — est plus qu'une simple (un mot qu'on pourrait presque comprendre de façon assez négative) traduction du texte hébreux : c'est en effet un témoignage textuel qui a une valeur en lui-même et une étape spécifique importante de l'histoire de la Révélation, à travers laquelle s'est réalisée cette rencontre d'une manière qui, pour la naissance du christianisme et sa diffusion, a eu une signification décisive. Fondamentalement, il s'agit d'une rencontre entre la foi et la raison, entre l'authentique philosophie des lumières et la religion. En partant véritablement de la nature intime de la foi chrétienne et, dans le même temps, de la nature de la pensée grecque qui ne faisait désormais plus qu'un avec la foi, Manuel II pouvait dire: Ne pas agir « avec le logos » est contraire à la nature de Dieu. Par honnêteté, il faut remarquer ici que, à la fin du Moyen Age, se sont développées dans la théologie, des tendances qui rompaient cette synthèse entre esprit grec et esprit chrétien. En opposition avec ce que l'on a appelé l'intellectualisme augustinien et thomiste débuta avec Duns Scott une situation volontariste qui, en fin de compte, dans ses développements successifs, conduisit à l'affirmation que nous ne connaîtrions de Dieu que la voluntas ordinata. Au-delà de celle-ci, il existerait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait pu créer et faire tout aussi bien le contraire de tout ce qu'il a effectivement fait. Ici se profilent des positions qui, sans aucun doute, peuvent s'approcher de celles de Ibn Hazn, et pourraient conduire jusqu'à l'image d'un Dieu-Arbitraire, qui n'est pas même lié par la Vérité et par le bien. La transcendance et la diversité de Dieu sont accentuées avec une telle exagération que même notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus un véritable miroir de Dieu, dont les possibilités abyssales demeurent pour nous éternellement hors d'atteinte et cachées derrière ses décisions effectives.
 
En opposition à cela, la foi de l'Eglise s'est toujours tenue à la conviction qu'entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une vraie analogie dans laquelle - comme le dit le IVe Concile du Latran en 1215 - les dissemblances sont certes assurément plus grandes que les ressemblances, mais toutefois pas au point d'abolir l'analogie et son langage. Dieu ne devient pas plus divin du fait que nous le repoussons loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais le Dieu véritablement divin est ce Dieu qui s'est montré comme logos et comme logos a agi et continue d'agir plein d'amour en notre faveur. Bien sûr, l'amour, comme le dit Paul, « dépasse » la connaissance et c'est pour cette raison qu'il est capable de percevoir davantage que la simple pensée (cf. Ep 3, 19), mais il demeure l'amour du Dieu-Logos, pour lequel le culte chrétien est, comme le dit encore Paul « logikè latreia », un culte qui s'accorde avec le Verbe éternel et avec notre raison (cf. Rm 12, 1). Le rapprochement intérieur mutuel évoqué ici, qui a eu lieu entre la foi biblique et l'interrogation sur le plan philosophique de la pensée grecque, est un fait d'une importance décisive non seulement du point de vue de l'histoire des religions, mais également de celui de l'histoire universelle - un fait qui nous crée des obligations aujourd'hui encore. En tenant compte de cette rencontre, il n'est pas surprenant que le christianisme, malgré son origine et quelques importants développements en Orient, ait en fin de compte trouvé son empreinte décisive d'un point de vue historique en Europe. Nous pouvons l'exprimer également dans l'autre sens : cette rencontre, à laquelle vient également s'ajouter par la suite le patrimoine de Rome, a créé l'Europe et demeure le fondement de ce que l'on peut à juste titre appeler l'Europe. A la thèse selon laquelle le patrimoine grec, purifié de façon critique, ferait partie intégrante de la foi chrétienne, s'oppose l'exigence de déshellénisation du christianisme — une exigence qui, depuis le début de l'époque moderne domine de manière croissante la recherche théologique. Vu de plus près, on peut observer trois époques dans le programme de la déshellénisation : même si elles sont liées entre elles, elles sont toutefois, dans leurs motivations et dans leurs objectifs, clairement distinctes l'une de l'autre. La déshellénisation apparaît d'abord en liaison avec les postulats de la Réforme au XVIe siècle. En considérant la tradition des écoles théologiques, les réformateurs se retrouvent face à une systématisation de la foi conditionnée totalement par la philosophie, c'est-à-dire face à une détermination de la foi venue de l'extérieur en vertu d'une manière de penser qui ne dérive pas de celle-ci. Ainsi la foi n'apparaissait plus comme une parole historique vivante, mais comme un élément inséré dans la structure d'un système philosophique. Le sola Scriptura recherche en revanche la pure forme primordiale de la foi, comme celle-ci est présente originellement dans la Parole biblique. La métaphysique apparaît comme un présupposé dérivant d'une autre source, dont il faut libérer la foi pour la faire redevenir totalement elle-même. Avec son affirmation d'avoir dû mettre de côté la pensée pour faire place à la foi, Kant a agi en se basant sur ce programme avec un radicalisme que les réformateurs ne pouvaient prévoir. Ainsi a-t-il ancré la foi exclusivement dans la raison pratique, en lui niant l'accès au tout de la réalité. La théologie libérale du XIXe et du XXe siècle représenta une deuxième époque dans le programme de la déshellénisation : Adolf von Harnack en est un éminent représentant. Pendant mes études, comme au cours des premières années de mon activité universitaire, ce programme était fortement à l'œuvre également dans la théologie catholique. L'on prenait comme point de départ la distinction de Pascal entre le Dieu des philosophes et le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Dans la conférence que j'ai prononcée à Bonn, en 1959, j'ai essayé d'affronter cet argument, et je n'entends pas reprendre ici tout ce discours. Je voudrais toutefois tenter de mettre en lumière, même brièvement, la nouveauté qui caractérisait cette deuxième époque de déshellénisation par rapport à la première. La réflexion centrale qui apparaît chez Harnack est le retour à Jésus simplement homme et à son message simple, qui serait précédent à toutes les théologisations ainsi, précisément, qu'à toute hellénisation: ce serait ce message simple qui constituerait le véritable sommet du développement religieux de l'humanité. Jésus aurait donné congé au culte en faveur de la morale. En définitive, il est représenté comme le père d'un message moral humanitaire. L'objectif de Harnack est au fond de ramener le christianisme en harmonie avec la raison moderne, en le libérant, précisément, d'éléments apparemment philosophiques et théologiques comme, par exemple la foi dans la divinité du Christ et dans la Trinité de Dieu. En ce sens, l'exégèse historique et critique du Nouveau Testament, dans la vision qui est la sienne, replace la théologie au sein du système de l'université: la théologie, selon Harnarck, est quelque chose d'essentiellement historique et donc d'étroitement scientifique. Ce sur quoi elle enquête à propos de Jésus à travers la critique est, pour ainsi dire, l'expression de la raison pratique et par conséquent peut trouver sa place dans le système de l'université. En arrière-plan, on trouve l'auto-limitation moderne de la raison, exprimée de manière classique dans les « critiques » de Kant, mais par la suite ultérieurement radicalisée par la pensée des sciences naturelles. Cette conception moderne de la raison se fonde, pour le dire brièvement, sur une synthèse entre platonisme (cartésianisme) et empirisme, que le progrès technique a confirmé. D'une part, on présuppose la structure mathématique de la matière, sa rationalité intrinsèque, pour ainsi dire, qui rend possible sa compréhension et son utilisation dans son efficacité opérationnelle : ce présupposé de fond est pour ainsi dire l'élément platonicien dans le concept moderne de la nature. D'autre part, on envisage l' « utilisabilité » fonctionnelle de la nature selon nos objectifs, où seule la possibilité de contrôler vérité et erreur à travers l'expérience fournit une certitude décisive. Le poids respectif de ces deux pôles peut, selon les circonstances, pencher davantage d'un côté ou davantage de l'autre. Un penseur aussi étroitement positiviste que Jacques Monod a déclaré qu'il était un platonicien convaincu. Cela comporte deux orientations fondamentales décisives en ce qui concerne notre question. Seul le type de certitude dérivant de la synergie des mathématiques et de l'empirique nous permet de parler de science. Ce qui prétend être science doit se confronter avec ce critère. Et ainsi, même les sciences qui concernent les choses humaines, comme l'histoire, la psychologie, la sociologie et la philosophie, cherchaient à se rapprocher de ce canon de la science. Pour nos réflexions est cependant aussi important le fait que la méthode comme telle exclut la question de Dieu, la faisant apparaître comme une question ascientifique ou pré-scientifique. Mais cela nous place devant une réduction du domaine de la science et de la raison, dont il faut tenir compte. 
 
Je reviendrai encore sur ce thème. Pour le moment, il suffit d'avoir à l'esprit que, avec une tentative faite à la lumière de cette perspective pour conserver à la théologie le caractère de discipline « scientifique », il ne resterait du christianisme qu'un misérable fragment. Mais il nous faut aller plus loin : si la science n'est que cela dans son ensemble, alors c'est l'homme lui-même qui devient victime d'une réduction. Car les interrogations proprement humaines, c'est-à-dire celles concernant les questions sur « d'où » et « vers où », les interrogations de la religion et de l'ethos, ne peuvent alors pas trouver de place dans l'espace de la raison commune décrite par la « science » interprétée de cette façon, et elles doivent être déplacées dans le domaine du subjectif. Le sujet décide, à partir de ses expériences, ce qui lui apparaît religieusement possible, et la « conscience » subjective devient, en définitive, la seule instance éthique. Cependant, l'ethos et la religion perdent ainsi leur force de créer une communauté et tombent dans le domaine de l'arbitraire personnel. C'est une situation dangereuse pour l'humanité : nous le constatons dans les pathologies menaçantes de la religion et de la raison - des pathologies qui doivent nécessairement éclater, lorsque la religion est réduite à un point tel que les questions de la religion et de l'ethos ne la regardent plus. Ce qui reste des tentatives pour construire une éthique en partant des règles de l'évolution, de la psychologie ou de la sociologie, est simplement insuffisant. Avant de parvenir aux conclusions auxquelles tend tout ce raisonnement, je dois encore brièvement mentionner la troisième époque de la déshellénisation qui se diffuse actuellement. En considération de la rencontre avec la multiplicité des cultures, on aime dire aujourd'hui que la synthèse avec l'hellénisme, qui s'est accomplie dans l'Eglise antique, aurait été une première inculturation, qui ne devrait pas lier les autres cultures. Celles-ci devraient avoir le droit de revenir en arrière jusqu'au point qui précédait cette inculturation pour découvrir le simple message du Nouveau Testament et l'inculturer ensuite à nouveau dans leurs milieux respectifs. Cette thèse n'est pas complètement erronée; elle est toutefois grossière et imprécise. En effet, le Nouveau Testament a été écrit en langue grecque et contient en lui le contact avec l'esprit grec — un contact qui avait mûri dans le développement précédent de l'Ancien Testament. Il existe certainement des éléments dans le processus de formation de l'Eglise antique qui ne doivent pas être intégrés dans toutes les cultures. Mais les décisions de fond qui concernent précisément le rapport de la foi avec la recherche de la raison humaine, ces décisions de fond font partie de la foi elle-même et en sont les développements, conformes à sa nature.

Avec ceci, j'arrive à la conclusion. Cette tentative, uniquement dans de grandes lignes, de critique de la raison moderne de l'intérieur, n'inclut absolument pas l'idée que l'on doive retourner en arrière, avant le siècle des lumières, en rejetant les convictions de l'époque moderne. Ce qui dans le développement moderne de l'esprit est considéré valable est reconnu sans réserves: nous sommes tous reconnaissants pour les possibilités grandioses qu'il a ouvert à l'homme et pour les progrès dans le domaine humain qui nous ont été donnés. Du reste, l'ethos de l'esprit scientifique est - vous l'avez mentionné, Monsieur le Recteur - la volonté d'obéissance à la Vérité, et donc l'expression d'une attitude qui fait partie des décisions essentielles de l'esprit chrétien. L'intention n'est donc pas un recul, une critique négative; il s'agit en revanche d'un élargissement de notre concept de raison et de l'usage de celle-ci. Car malgré toute la joie éprouvée face aux possibilités de l'homme, nous voyons également les menaces qui y apparaissent et nous devons nous demander comment nous pouvons les dominer. Nous y réussissons seulement si la raison et la foi se retrouvent unies d'une manière nouvelle ; si nous franchissons la limite auto-décrétée par la raison à ce qui est vérifiable par l'expérience, et si nous ouvrons à nouveau à celle-ci toutes ses perspectives. C'est dans ce sens que la théologie, non seulement comme discipline historique, humaine et scientifique, mais comme véritable théologie, c'est-à-dire comme interrogation sur la raison de la foi, doit trouver sa place à l'université et dans le vaste dialogue des sciences. Ce n'est qu'ainsi que nous devenons également aptes à un véritable dialogue des cultures et des religions - un dialogue dont nous avons un besoin urgent. Dans le monde occidental domine largement l'opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui en découlent sont universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient précisément dans cette exclusion du divin de l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures. Toutefois, la raison moderne propre aux sciences naturelles, avec son élément platonicien intrinsèque, contient en elle, comme j'ai cherché à le démontrer, une interrogation qui la transcende, ainsi que ses possibilités méthodiques. Celle-ci doit simplement accepter la structure rationnelle de la matière et la correspondance entre notre esprit et les structures rationnelles en œuvre dans la nature comme un fait donné, sur lequel se fonde son parcours méthodique. Mais la question sur la raison de ce fait donné existe et doit être confiée par les sciences naturelles à d'autres niveaux et façons de penser - à la philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, de manière différente, pour la théologie, l'écoute des grandes expériences et convictions des traditions religieuses de l'humanité, en particulier celle de la foi chrétienne, constitue une source de connaissance; la refuser signifierait une réduction inacceptable de notre capacité d'écoute et de notre capacité à répondre. Il me vient ici à l'esprit une parole de Socrate à Phédon. Dans les entretiens précédents, ils avaient traité de nombreuses opinions philosophiques erronées, et Socrate s'exclamait alors : « Il serait bien compréhensible que quelqu'un, en raison de l'irritation due à tant de choses erronées, se mette à haïr pour le reste de sa vie tout discours sur l'être et le dénigrât. Mais de cette façon, il perdrait la vérité de l'être et subirait un grand dommage ». Depuis très longtemps, l'occident est menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison, et ainsi il ne peut subir qu'un grand dommage. Le courage de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non le refus de sa grandeur — voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. « Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire à la nature de Dieu » a dit Manuel II, partant de son image chrétienne de Dieu, à son interlocuteur persan. C'est à ce grand Logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau, est la grande tâche de l'université.
 
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2 juillet 2006 7 02 /07 /juillet /2006 07:27

Texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée jeudi 29 juin, en la solennité des saints Pierre et Paul, au cours de la célébration qu’il a présidée dans la basilique Saint-Pierre…

 
 
 
« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18). Que dit précisément le Seigneur à Pierre à travers ces paroles ? Quelle promesse lui fait-il à travers ces paroles et quelle tâche lui confie-t-il ? Et que nous dit-il à nous - à l'Evêque de Rome qui siège sur la Chaire de Pierre, et à l'Eglise d'aujourd'hui ? Si nous voulons comprendre la signification des paroles de Jésus, il est utile de se rappeler que les Evangiles nous rapportent trois situations différentes dans lesquelles le Seigneur, chaque fois de façon particulière, transmet à Pierre la tâche qui sera la sienne. Il s'agit toujours de la même tâche, mais de la diversité des situations et des images utilisées, nous percevons plus clairement ce qui intéressait et intéresse le Seigneur dans cette tâche. Dans l'Evangile de saint Matthieu que nous venons d'écouter, Pierre exprime sa confession à Jésus, le reconnaissant comme Messie et Fils de Dieu. Sur cette base lui est conférée sa tâche particulière à travers trois images: celle du roc qui devient pierre de fondation ou pierre angulaire, celle des clés et celle de lier et de délier. Je n'entends pas interpréter ici, une fois de plus, ces trois images que l'Eglise a sans cesse réexpliquées au cours des siècles ; je voudrais plutôt attirer l'attention sur le cadre géographique et sur le contexte chronologique de ces paroles. La promesse a lieu dans les environs des sources du Jourdain, à la frontière de la terre juive, à la limite du monde païen. Le moment de la promesse marque un tournant décisif sur le chemin de Jésus : à présent, le Seigneur s’achemine vers Jérusalem et, pour la première fois, il dit aux disciples que ce chemin vers la Ville Sainte est le Chemin vers la Croix : « A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter » (Mt 16, 21). Les deux choses vont de pair et déterminent le lieu intérieur du Primat, et même de l'Eglise en général: le Seigneur est continuellement en chemin vers la Croix, vers l’abaissement du serviteur de Dieu souffrant et tué, mais il est en même temps toujours également en chemin vers la vaste étendue du monde, dans laquelle Il nous précède comme Ressuscité, afin que resplendissent dans le monde la lumière de sa parole et la présence de son amour; il est en chemin afin qu'à travers Lui, le Christ crucifié et ressuscité, Dieu lui-même, arrive dans le monde. En ce sens, Pierre, dans sa Première Lettre, se qualifie de « témoin des souffrances du Christ et [devant] participer à la gloire qui va être révélée » (5, 1). Pour l'Eglise, le Vendredi Saint et la Pâque existent toujours ensemble; celle-ci représente toujours autant le grain de sénevé que l'arbre dans les branches duquel les oiseaux du ciel font leur nid. L'Eglise - et en elle le Christ - souffre encore aujourd'hui. En elle, le Christ est encore bafoué et frappé; on cherche encore à le chasser du monde. Et la petite barque de Pierre est encore sans cesse secouée par le vent des idéologies, dont les eaux pénètrent dans la barque et semblent la condamner à couler. Et pourtant, précisément dans l'Eglise souffrante, le Christ est victorieux. En dépit de tout, la foi en Lui reprend toujours ses forces. Aujourd'hui encore, le Seigneur commande aux eaux et se révèle Maître des éléments. Il demeure dans sa barque, le navire de l'Eglise. Ainsi, dans le ministère de Pierre également, se révèle, d'une part, la faiblesse propre à l'homme, mais également la force de Dieu: c'est précisément dans la faiblesse des hommes que le Seigneur manifeste sa force; il démontre que c'est Lui-même qui construit son Eglise, à travers les hommes faibles.
 
Tournons-nous à présent vers l'Evangile de saint Luc, qui nous raconte comment le Seigneur, au cours de la Dernière Cène, confère à nouveau une tâche spéciale à Pierre (cf. Lc 22, 31-33). Cette fois, les paroles de Jésus adressées à Simon se trouvent immédiatement après l'institution de la Très Sainte Eucharistie. Le Seigneur vient de se donner aux siens, sous les espèces du pain et du vin. Nous pouvons voir dans l'institution de l'Eucharistie le véritable acte fondateur de l'Eglise. A travers l'Eucharistie, le Seigneur donne aux siens non seulement lui-même, mais également la réalité d'une nouvelle communion entre eux qui se prolonge dans le temps « jusqu'à ce qu'il vienne » (cf. 1 Co 11, 26). A travers l'Eucharistie, les disciples deviennent sa maison vivante qui, tout au long de l'histoire, grandit comme le temple nouveau et vivant de Dieu dans ce monde. Et ainsi, Jésus, immédiatement après l'institution du Sacrement, parle de ce que signifient le « ministère » et être disciples, dans la nouvelle communauté: il dit qu'il s'agit d'un engagement de service, tout comme Lui-même se trouve au milieu d'eux comme Celui qui sert. Il s'adresse alors à Pierre. Il dit que Satan a demandé de pouvoir cribler les disciples comme le blé. Cela évoque le passage du Livre de Job, dans lequel Satan demande à Dieu la faculté de frapper Job. Le diable - le calomnieur de Dieu et des hommes - veut par cela prouver qu'il n'existe pas de véritable religiosité, mais que dans l'homme, tout vise toujours et seulement à l'utilité. Dans le cas de Job, Dieu accorde à Satan la liberté requise précisément pour pouvoir défendre par cela sa créature, l'homme, et lui-même. Et c'est ce qui se produit également avec les disciples de Jésus. Dieu donne une certaine liberté à Satan en tout temps. Il nous semble souvent que Dieu laisse trop de liberté à Satan; qu'il lui accorde la faculté de nous secouer de façon trop dure, et que cela dépasse nos forces et nous opprime trop. Nous crierons sans cesse vers Dieu: hélas, vois la misère de tes disciples, de grâce, protège-nous ! En effet, Jésus poursuit : « Mais moi, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas » (Lc 22, 32). La prière de Jésus est la limite placée au pouvoir du malin. La prière de Jésus est la protection de l'Eglise. Nous pouvons nous réfugier sous cette protection, nous y agripper et placer notre certitude en elle. Mais, comme nous le dit l'Evangile : Jésus prie de façon particulière pour Pierre: « ...afin que ta foi ne défaille pas ». Cette prière de Jésus est à la fois une promesse et un devoir. La prière de Jésus protège la foi de Pierre; cette foi qu'il a confessée à Césarée de Philippe: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Voilà, ne laisse jamais cette foi devenir muette, affermis-la sans cesse, précisément et même face à la croix et à toutes les contradictions du monde : telle est la tâche de Pierre. C'est précisément pour cela que le Seigneur ne prie pas seulement pour la foi personnelle de Pierre, mais pour sa foi comme service aux autres. C'est précisément cela qu'Il veut dire à travers les paroles : « Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22, 32). « Toi donc, quand tu seras revenu ». Cette parole est à la foi une prophétie et une promesse. Elle prophétise la faiblesse de Simon qui, devant une servante et un serviteur, niera connaître Jésus. A travers cette chute, Pierre - et avec lui chacun de ses successeurs - doit apprendre que sa propre force ne suffit pas à elle seule à édifier et à guider l'Eglise du Seigneur. Personne n'y réussit seul. Pour autant que Pierre semble capable et bon - dès le premier instant de l'épreuve, il échoue. « Toi donc, quand tu seras revenu ». Le Seigneur, qui prédit sa chute, lui promet également la conversion : « Le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre... » (Lc 22, 61). Le regard de Jésus réalise la transformation et devient le salut de Pierre : Lui, « sortant dehors [...] pleura amèrement » (22, 62). Nous voulons implorer sans cesse à nouveau ce regard sauveur de Jésus : pour tous ceux qui, dans l'Eglise, ont une responsabilité; pour tous ceux qui souffrent des confusions de notre temps; pour les grands et les petits : Seigneur, regarde-nous sans cesse et relève-nous de toutes nos chutes et prends-nous entre tes mains bienveillantes. Le Seigneur confie à Pierre la tâche à l'égard de ses frères à travers la promesse de sa prière. La tâche de Pierre est ancrée à la prière de Jésus. C'est ce qui lui donne la certitude de pouvoir persévérer à travers toutes les misères humaines. Et le Seigneur lui confie cette tâche dans le cadre de la Cène, en relation avec le don de la Très Sainte Eucharistie. L'Eglise, fondée sur l'institution de l'Eucharistie, au plus profond d'elle-même, est une communauté eucharistique et ainsi, une communion dans le Corps du Seigneur. Le devoir de Pierre est de présider à cette communion universelle; de la maintenir présente dans le monde comme unité également visible, incarnée. Avec toute l'Eglise de Rome, il doit - comme le dit saint Ignace d'Antioche - présider à la charité: présider à la communauté de cet amour qui provient du Christ et dépasse sans cesse les limites du privé pour apporter l'amour du Christ jusqu'aux extrémités de la terre. La troisième référence au Primat se trouve dans l'Evangile de saint Jean (21, 15-19). Le Seigneur est ressuscité, et, en tant que Ressuscité, confie à Pierre son troupeau. Ici également la Croix et la Résurrection s’interpénètrent. Jésus prédit à Pierre que son chemin conduira à la Croix. Dans cette basilique, érigée sur la tombe de Pierre - une tombe de pauvres - nous voyons que le Seigneur, précisément ainsi, à travers la Croix, vainc toujours. Son pouvoir n'est pas un pouvoir selon les modalités de ce monde. C'est le pouvoir du bien - de la Vérité et de l'amour, qui est plus fort que la mort. Oui, sa promesse est vraie: les pouvoirs de la mort, les portes de l'enfer ne l’emporteront pas sur l'Eglise qu'il a édifiée sur Pierre (cf. Mt 16, 18) et que, précisément de cette façon, Il continue d'édifier personnellement. 
 
En cette solennité des Saints Apôtres Pierre et Paul, je m'adresse à vous de façon particulière, chers Archevêques métropolitains, venus de nombreux pays du monde pour recevoir le Pallium des mains du Successeur de Pierre. Je vous salue cordialement ainsi que tous ceux qui vous ont accompagnés. Je salue en outre avec une joie particulière la délégation du Patriarcat œcuménique, présidée par Son Eminence Johannis Zizioulias, Métropolite de Pergame, Président de la Commission mixte internationale pour le Dialogue théologique entre catholiques et orthodoxes. Je suis reconnaissant au Patriarche Bartholomaios Ier et au Saint-Synode pour ce signe de fraternité, qui manifeste le désir et l'engagement de progresser plus rapidement sur le chemin de la pleine unité que le Christ a invoquée pour tous ses disciples. Nous sentons que nous partageons l'ardent désir exprimé un jour par le Patriarche Athénagoras et par le Pape Paul VI: de boire ensemble à la même Coupe et de manger ensemble le pain qui est le Seigneur lui-même. En cette occasion nous implorons à nouveau, que ce don nous soit bientôt accordé. Et nous rendons grâce au Seigneur de nous trouver unis dans la confession que Pierre, à Césarée de Philippe, fit pour tous les disciples: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Nous voulons apporter ensemble cette confession dans le monde d'aujourd'hui. Que le Seigneur nous aide à être, précisément en cette heure de notre histoire, de véritables témoins de ses souffrances et qu'il nous fasse participer à la gloire qui doit se manifester (1 P 5, 1). Amen !
 
© Copyright du texte original en italien : Libreria editrice vaticana
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6 juin 2006 2 06 /06 /juin /2006 08:56

NDLR : Encore à notre époque on risque de voir surgir d’autres "camps d'exterminations" peut-être appelés différemment, d’autres lieux de terreur et d’intolérance, où l’homme s’oppose à l’homme pour l’anéantir au nom de la vengeance, de la haine, du désir de suprématie. Les générations à venir exigent que l’on n’oublie pas la tragédie d’Auschwitz-Birkenau, de sorte que la religion soit amenée à reconnaître le mal comme mal et à le refuser, en suscitant en l’homme du troisième millénaire le courage de faire le bien et de résister contre le mal…

 

 

 

Prendre la parole dans ce lieu d'horreur, d'accumulation de crimes contre Dieu et contre l'homme sans égal dans l'histoire est presque impossible - et cela est particulièrement difficile et accablant pour un chrétien, pour un pape qui vient d'Allemagne. Dans un lieu comme celui-là, les mots font défaut, au fond, seul un silence tremblant peut régner, un silence qui est un cri intérieur vers Dieu : pourquoi n'as-tu rien dit Seigneur ? pourquoi as-tu pu tolérer tout cela ? C'est dans ce silence que nous nous inclinons profondément au fond de nous devant l'innombrable enfilade de ceux qui ont souffert ici et ont été mis à mort ; ce silence toutefois devient ensuite demande à haute voix de pardon de réconciliation, un cri vers le Dieu vivant de ne plus permettre une telle chose.

 

Il y a 27 ans, le 7 juin 1979 le pape Jean Paul II était ici et il dit alors : « Je viens ici comme pèlerin. On sait que bien des fois je me suis trouvé ici... Tant de fois ! Bien des fois je suis descendu dans la cellule de la mort de Maximilien Kolbe et je me suis arrêté devant le mur de l'extermination et je suis passé entre les ruines des fours crématoires de Birkenau. Je ne pouvais pas ne pas venir ici comme Pape ». Le pape Jean Paul II est venu ici comme fils du peuple qui, à côté du peuple hébraïque, devait souffrir le plus en ce lieu et, en général, au cours de la guerre : « Il y a six millions de polonais qui ont perdu la vie pendant la seconde guerre mondiale : le cinquième de la nation » a alors rappelé le Pape. Ici il a ensuite fait monter l'avertissement solennel au respect des droits de l'homme et des nations qu'avant lui ses prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI avaient élevé devant le monde, et il ajouta : « Je prononce ces paroles [...] fils de la nation qui dans son histoire lointaine et récent a subi tant de douleurs de la part des autres. Et je ne le dis pas pour accuser mais pour se souvenir. Je parle au nom de toutes les nations dont les droits sont violés et oubliés... »

 

Le pape Jean Paul II était ici comme fils du peuple polonais. Je suis aujourd'hui ici comme fils du peuple allemand et justement pour cela, je dois et peux dire comme lui : je ne pouvais pas ne pas venir ici. Je devais venir. C'était et c'est un devoir à l'égard de la vérité et du droit de ceux qui ont souffert, un devoir vis-à-vis de Dieu, d'être ici comme successeur de Jean-Paul II et comme fils du peuple allemand, fils de ce peuple sur lequel un groupe de criminels a pris le pouvoir au moyen de promesses mensongères, au nom de perspectives de grandeur, de recouvrance de l'honneur de la nation et de son relèvement, avec des prévisions de bien-être, et aussi avec la force de la terreur et de l'intimidation de sorte que notre peuple a pu être utilisé et abusé comme instrument de leur frénésie de destruction et de pouvoir. Oui, je ne pouvais pas ne pas venir ici. Le 7 juin 1979, j'étais ici comme archevêque de Münich-Freisingen parmi tant d'évêques qui accompagnaient le Pape, l'écoutaient et priaient avec lui. Puis en 1980 je suis revenu une fois dans ce lieu d'horreur avec une délégation d'évêques allemands, bouleversé à cause du mal et reconnaissant du fait qu'au dessus de ces ténèbres s'était levé l'étoile de la réconciliation. Et c'est encore dans ce but que je me trouve aujourd'hui ici : pour implorer la grâce de la réconciliation – et tout d'abord de Dieu qui, seul, peut ouvrir et purifier nos coeurs ; puis des hommes qui ont souffert ici, et enfin la grâce de la réconciliation pour tous ceux qui, en ce moment de notre histoire, ont souffert de nouvelle manière sous le pouvoir de la haine et sous la violence fomentée par la haine.

 

Tant de demandes s'imposent à nous dans ce lieu ! Et toujours à nouveau émerge la demande : Où était Dieu en ces jours-là ? Pourquoi s'est-il tu ? Comment a-t-il pu tolérer cet excès de destruction, ce triomphe du mal ? Il nous vient à l'esprit les paroles du psaume 44, la lamentation d'Israël souffrant : « Tu nous as écrasés au séjour des chacals, tu nous as enveloppés de ténèbres ... Pour toi nous avons mis à mort, traités comme des brebis pour l'abattoir. Réveille toi ! Pourquoi dors tu Seigneur ? Relève toi, ne nous repousses pas à jamais ! Pourquoi caches tu ton visage, oublies tu notre misère et notre oppression ? Car nous sommes prostrés dans la poussière, notre corps est étendu par terre. Relève toi, viens à notre secours, sauve nous par ta miséricorde ! » (Ps 44, 20.23-27).

 

Ce cri d'angoisse qu'Israël souffrant élevé vers Dieu au temps de détresse profonde est dans le même temps le cri d'appel à l'aide de tous ceux qui dans le cours de l'histoire - hier, aujourd'hui et demain - ont souffert pour l'amour de Dieu, pour l'amour de la vérité et du bien, et il y en a beaucoup encore aujourd'hui. Nous ne pouvons pas pénétrer le secret de Dieu - nous ne voyons que des fragments et nous commettons une erreur si nous voulons nous faire juges de Dieu et de l'histoire. Dans ce cas nous ne défendrions pas l'homme mais contribuerions seulement à sa destruction. Non – en définitive nous devons restés tournés vers Dieu avec le cri humble mais insistant : « Réveille-toi ! N'oublie pas ta créature, l'homme ! Et notre cri vers Dieu doit être en même temps un cri qui pénètre notre propre coeur afin que s'éveille en nous la présence cachée de Dieu, afin que la puissance qu'Il a déposée dans nos cœurs ne soit pas recouverte et étouffée en nous par la boue de l'égoïsme, de la peur des hommes, de l'indifférence et de l'opportunisme. Nous émettons ce cri devant Dieu, nous le retournons vers notre cœur lui-même précisément à l'heure présente où surviennent de nouvelles mésaventures où semblent émerger à nouveau des cœurs des hommes toutes les forces obscures : d'une part l'abus du nom de Dieu pour justifier une violence aveugle contre des personnes innocentes; de l'autre, le cynisme qui ne connaît pas Dieu et qui méprise la foi en Lui. Nous crions vers Dieu, afin qu'il incite les hommes à se repentir, et qu'ils reconnaissent ainsi que la violence n'engendre pas la paix mais seulement davantage de violence, une spirale de destructions, dans lequel tous ne peuvent en définitive qu'être perdants. Le Dieu dans lequel nous croyons est un Dieu de la raison – d'une raison cependant qui n'est certainement pas une mathématique neutre de l'univers mais qui n'est qu'une seule chose avec l'amour, avec le bien. Nous prions Dieu et nous crions vers les hommes afin que cette raison, la raison de l'amour et de la reconnaissance de la force de la réconciliation et de la paix prévale sur les menaces présentes de l'irrationalité ou d'une fausse raison coupée de Dieu. Le lieu où nous nous trouvons est un lieu de la mémoire, c'est le lieu de la Shoah. Le passé n'est jamais seulement du passé. Il nous regarde et nous indique les chemins à ne pas prendre et ceux à prendre. Comme Jean Paul II j'ai parcouru le chemin le long des pierre qui dans les différentes langues rappellent les victimes de ce lieu : il y a des pierres en biélorusse, tchèque, allemand, français, grec, hébreu, croate, italien, yiddish, hongrois, néerlandais, norvégien, polonais, russe, rom, roumain, slovaque, serbe, ukrainien, judéo-espagnol, anglais. Toutes ces pierres commémoratives parlent de la douleur humaine, elles nous font deviner le cynisme de ce pouvoir qui traitait les hommes comme du matériau sans les reconnaître comme des personnes dans lesquelles resplendit l'image de Dieu.

 

Certaines pierres invitent à une commémoration particulière. Il y a celle en langue hébraïque. Les potentats du Troisième Reich voulaient détruire le peuple hébraïque dans sa totalité, l'éliminer de la liste des peuples de la terre. Les paroles du psaume nous avons été mis à mort, traités comme des brebis pour l'abattoir se sont alors vérifiées de manière terrible. Au fond, ces criminels violents, par l'anéantissement de ce peuple, poursuivait l'intention de tuer ce Dieu qui appela Abraham, qui parlant sur le Sinaï a établi les critères d'orientation de l'humanité qui restent valides pour l'éternité. Si ce peuple, simplement par sa seule existence, constitue un témoignage de ce Dieu qui a parlé à l'homme et l'a pris en charge, alors ce Dieu devait finalement mourir et le pouvoir appartenir seulement à l'homme – à ceux là qui se considéraient comme forts d'avoir su s'emparer du monde. Par la destruction d'Israël, par la Shoah, ils voulaient en fin de compte arracher les racines sur lesquelles se fonde la foi chrétienne en lui substituant définitivement la foi tirée de soi, la foi dans le pouvoir de l'homme, du fort. Puis il y a la pierre en langue polonaise. D'abord et avant tout on a voulu éliminer l'élite culturelle et ainsi effacer le peuple comme sujet historique autonome pour l'abaisser, dans la mesure où il continuait d'exister, à un peuple d'esclaves. Une autre pierre qui invite particulièrement à réfléchir est celle écrite dans la langue des tziganes et des roms. Ici aussi on a voulu faire disparaître un peuple entier qui vivait en migrant au milieu des autres peuples. Il fut compté parmi les éléments inutiles de l'histoire universelle, dans une idéologie où ne devait compter désormais que l'utile mesurable, tout le reste selon leurs conceptions, devant se classer comme (lebensunwertes Leben) une vie indigne d'être vécue. Puis c'est la pierre en russe qui évoque le nombre immense des vies sacrifiées parmi les soldats russes dans l'affrontement avec le régime de la terreur national-socialiste ; en même temps elle nous fait réfléchir sur le sens doublement tragique de leur mission : ils ont libéré les peuples d'une dictature mais en soumettant aussi les mêmes peuples à une nouvelle dictature, celle de Staline et de l'idéologie communiste. Toutes les autres pierres aussi dans beaucoup de langues de l'Europe nous parle de la souffrance des hommes de tout le continent. Puissent-elles toucher profondément notre cœur si nous ne faisons pas seulement mémoire des victimes de manière générale mais si nous voyions au contraire les visages des personnes singulières qui ont fini ici dans l'abîme de la terreur.

 

J'ai senti comme un devoir intime de m'arrêter de manière particulière devant la pierre en langue allemande. Là se présente à nous le visage de Edith Stein, Thérèsia-Benedicta a Cruce : juive et allemande disparue avec sa soeur dans l'horreur de la nuit du camp de concentration germano-nazi ; comme chrétienne et comme juive elle accepta de mourir à la fois avec son peuple et pour lui. Les allemands qui furent alors déportés à Auschwitz-Birkenau et qui sont mort étaient vus comme (Abschaum der Nation) comme déchet de la nation. Cependant aujourd'hui nous leur rendons grâce avec reconnaissance comme témoins de la vérité et du bien, qui même dans notre peuple n'a pas été perdu. Nous remercions ces personnes parce qu'elles ne se sont pas soumises au pouvoir du mal et se tiennent maintenant devant nous comme des lumières dans une nuit obscure. Avec un profond respect et gratitude nous nous inclinons devant tous ceux qui, comme les trois jeunes devant la menace de la fournaise à Babylone, ont su répondre : « Seul notre Dieu peut nous sauver. Et même s'il ne nous libérait pas, sache, ô Roi, que nous ne servirons jamais tes dieux et n'adorerons pas la statue d'or que tu as érigée » (Dan 3, 17).

 

Oui, derrière ces pierres se cache le destin d'innombrables êtres humains. Ils secouent notre mémoire, ils secouent notre cœur. Ils ne veulent pas provoquer en nous la haine : ils nous démontrent même combien terrible peut être l'œuvre de la haine. Ils veulent amener la raison à reconnaître le mal comme mal et à le rejeter ; ils veulent susciter en nous le courage du bien, de la résistance au mal. Ils veulent nous amener à ces sentiments qui s'expriment dans les paroles que Sophocle met sur les lèvres d'Antigone face à l'horreur qui l'entoure : « je ne suis pas ici pour qu'on haïsse ensemble mais qu'on aime ensemble ». Grâce à Dieu, par la purification de la mémoire à laquelle nous invite ce lieu d'horreur, croissent maintenant de multiples initiatives qui veulent imposer une limite au mal et donner force au bien. Il y a quelques instants j'ai pu bénir le Centre pour le Dialogue et la Prière. Tout proche la vie cachée des soeurs carmélites qui se savent particulièrement unies au mystère de la croix du Christ nous rappelle la foi des chrétiens qui affirme que Dieu lui même est descendu dans l'enfer de la souffrance et souffre ensemble avec nous. A Oswiecim existent le Centre Saint Maximilien Kolbe et le Centre International de Formation sur Auschwitz et l'Holocauste. Puis il y a la Maison Internationale pour les Rencontres de la Jeunesse. Près d'une ancienne maison de prière il y a le Centre Hébraïque. Enfin l'Académie pour les Droits de l'Homme est en train d'être établie. Ainsi pouvons nous espérer que de ce lieu d'horreur germe et croisse une réflexion constructive et que le souvenir aide à résister au mal et à faire triompher l'amour.

 

L'humanité a traversé à Auschwitz-Birkenau une « vallée obscure ». Aussi je voudrais justement en ce lieu conclure par une prière de confiance – par un Psaume d'Israël qui est en même temps une prière de la chrétienté : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien, sur des prés d'herbe fraîche il me fait reposer, il me conduit vers les eaux tranquilles, il me restaure, il me guide par les justes chemins pour l'amour de son nom. Si je passe dans la vallée obscure je ne crains aucun mal car tu es avec moi, ton bâton et ta houlette me donnent sécurité ... j'habiterai la maison du Seigneur tout au long de mes années » (Ps 23, 1-4,6).

 

 

 

Liens : Prière à la Vierge des prêtres de Dachau + La légende des "silences" de Pie XII + Encore une preuve de cette légende noire + Pie XII : Accueillez les juifs persécutés !Les catholiques de Belgique ont sauvé des enfants juifs + Colloque sur les enfants juifs cachés pendant la Shoah + Toute la vérité sur le pape Pie XII + N'oublions pas Oskar Schindler, un catholique ayant sauvé plus de 1100 juifs + La légende noire, par le cardinal Bertone (1) + La légende noire, par le cardinal Bertone (2) + La légende noire, par le cardinal Bertone (3) + Hitler voulait enlever le pape Pie XII ! + Pie XII et les juifs : le mythe du pape d'Hitler + La résistance catholique face au nazisme : "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" + « L'Eglise est profondément et irrévocablement engagée à lutter contre l'antisémitisme » (Benoît XVI) + Elections de 1934 : Catholiques allemands face au vote nazi + « D’une manière ou d’une autre, seule la mort nous attendait » : le livre de Wanda Poltawska, une des dernières rescapées vivantes des expérimentations des médecins nazis + 22 mars : Bienheureux Clemens August Graf von Galen, l’évêque qui défia Hitler (1878-1946) + 26 octobre : Béatification de Franz Jägerstätter, celui qui osa défier Hitler : « Mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes »   

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24 avril 2006 1 24 /04 /avril /2006 09:48

1. « Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam in saeculum misericordia eius », « Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour! » (Ps 118, 1). C'est ce que chante l'Eglise en l'Octave de Pâques, recueillant presque des lèvres du Christ ces paroles du Psaume; des lèvres du Christ ressuscité, qui dans le Cénacle, apporte la grande annonce de la miséricorde divine et en confie le ministère aux apôtres: « Paix à vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie [...] Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20, 21-23). Avant de prononcer ces paroles, Jésus montre ses mains et son côté. C'est-à-dire qu'il montre les blessures de la Passion, en particulier la blessure du cœur, source d'où jaillit la grande vague de miséricorde qui se déverse sur l'humanité. De ce cœur, Sœur Faustyna Kowalska, la bienheureuse que dorénavant nous appellerons sainte, verra partir deux faisceaux de lumière qui illuminent le monde. « Les deux rayons, lui expliqua un jour Jésus lui-même, représentent le sang et l'eau » (Journal, Librairie éditrice vaticane, p. 132).

 

2. Sang et eau ! La pensée s'envole vers le témoignage de l'évangéliste Jean, qui, lorsqu'un soldat sur le Calvaire frappa de sa lance le côté du Christ, en vit sortir « du sang et de l'eau » (cf. Jn 19, 34). Et si le sang évoque le sacrifice de la croix et le don eucharistique, l'eau, dans la symbolique de Jean, rappelle non seulement le Baptême, mais également le don de l'Esprit Saint (cf. Jn 3, 5; 4, 14; 7, 37-39). A travers le cœur du Christ crucifié, la Miséricorde Divine atteint les hommes: « Ma Fille, dis que je suis l'Amour et la Miséricorde en personne », demandera Jésus à Sœur Faustyna (Journal, 374). Cette miséricorde, le Christ la diffuse sur l'humanité à travers l'envoi de l'Esprit qui, dans la Trinité, est la Personne-Amour. Et la miséricorde n'est-elle pas le « second nom » de l'amour (cf. Dives in misericordia, n. 7), saisi dans son aspect le plus profond et le plus tendre, dans son aptitude à se charger de chaque besoin, en particulier dans son immense capacité de pardon ? Aujourd'hui, ma joie est véritablement grande de proposer à toute l'Eglise, qui est presque un don de Dieu pour notre temps, la vie et le témoignage de Sœur Faustyna Kowalska. La Divine Providence a voulu que la vie de cette humble fille de la Pologne soit totalement liée à l'histoire du vingtième siècle, le siècle que nous venons de quitter. C'est, en effet, entre la Première et la Seconde Guerre mondiale que le Christ lui a confié son message de miséricorde. Ceux qui se souviennent, qui furent témoins et qui prirent part aux événements de ces années et des atroces souffrances qui en découlèrent pour des millions d'hommes, savent bien combien le message de la miséricorde était nécessaire. Jésus dit à Sœur Faustyna: « L'humanité n'aura de paix que lorsqu'elle s'adressera avec confiance à la Divine Miséricorde » (Journal, p. 132). A travers l'œuvre de la religieuse polonaise, ce message s'est lié à jamais au vingtième siècle, dernier du second millénaire et pont vers le troisième millénaire. Il ne s'agit pas d'un message nouveau, mais on peut le considérer comme un don d'illumination particulière, qui nous aide à revivre plus intensément l'Evangile de Pâques, pour l'offrir comme un rayon de lumière aux hommes et aux femmes de notre temps.

 

3. Que nous apporteront les années qui s'ouvrent à nous ? Quel sera l'avenir de l'homme sur la terre? Nous ne pouvons pas le savoir. Il est toutefois certain qu'à côté de nouveaux progrès ne manqueront pas, malheureusement, les expériences douloureuses. Mais la lumière de la Miséricorde Divine, que le Seigneur a presque voulu remettre au monde à travers le charisme de Sœur Faustyna, illuminera le chemin des hommes du troisième millénaire. Comme les Apôtres autrefois, il est toutefois nécessaire que l'humanité d'aujourd'hui accueille elle aussi dans le cénacle de l'histoire le Christ ressuscité, qui montre les blessures de sa crucifixion et répète: Paix à vous ! Il faut que l'humanité se laisse atteindre et imprégner par l'Esprit que le Christ ressuscité lui donne. C'est l'Esprit qui guérit les blessures du cœur, abat les barrières qui nous éloignent de Dieu et qui nous divisent entre nous, restitue la joie de l'amour du Père et celle de l'unité fraternelle.

 

4. Il est alors important que nous recevions entièrement le message qui provient de la Parole de Dieu en ce deuxième Dimanche de Pâques, qui dorénavant, dans toute l'Eglise, prendra le nom de « Dimanche de la Miséricorde Divine ». Dans les diverses lectures, la liturgie semble désigner le chemin de la miséricorde qui, tandis qu'elle reconstruit le rapport de chacun avec Dieu, suscite également parmi les hommes de nouveaux rapports de solidarité fraternelle. Le Christ nous a enseigné que « l'homme non seulement reçoit et expérimente la miséricorde de Dieu, mais aussi qu'il est appelé à « faire miséricorde » aux autres: « Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7) » (Dives in misericordia, n. 14). Il nous a ensuite indiqué les multiples voies de la miséricorde, qui ne pardonne pas seulement les péchés, mais répond également à toutes les nécessités de l'homme. Jésus s'incline sur toute forme de pauvreté humaine, matérielle et spirituelle. Son message de miséricorde continue de nous atteindre à travers le geste de ses mains tendues vers l'homme qui souffre. C'est ainsi que l'a vu et l'a annoncé aux hommes de tous les continents Sœur Faustyna, qui, cachée dans son couvent de Lagiewniki, à Cracovie, a fait de son existence un chant à la miséricorde: Misericordias Domini in aeternum cantabo.

 

5. La canonisation de Sœur Faustyna revêt une éloquence particulière: à travers cet acte, j'entends transmettre aujourd'hui ce message au nouveau millénaire. Je le transmets à tous les hommes afin qu'ils apprennent à connaître toujours mieux le véritable visage de Dieu et le véritable visage de leurs frères. L'amour de Dieu et l'amour des frères sont en effet indissociables, comme nous l'a rappelé la première Epître de Jean: « Nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu à ce que nous aimons Dieu et que nous pratiquons ses commandements » (5, 2). L'Apôtre nous rappelle ici à la vérité de l'amour, nous montrant dans l'observance des commandements la mesure et le critère. Il n'est pas facile, en effet, d'aimer d'un amour profond, fait de don authentique de soi. Cet amour ne s'apprend qu'à l'école de Dieu, à la chaleur de sa charité. En fixant le regard sur Lui, en nous syntonisant sur son cœur de Père, nous devenons capables de regarder nos frères avec des yeux nouveaux, dans une attitude de gratuité et de partage, de générosité et de pardon. Tout cela est la miséricorde ! Dans la mesure où l'humanité saura apprendre le secret de ce regard miséricordieux, la description idéale de la première lecture se révèle être une perspective réalisable: « La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun » (Ac 4, 32). Ici, la miséricorde du cœur est devenue également un style de rapports, un projet de communauté, un partage de biens. Ici ont fleuri les « œuvres de miséricorde » spirituelles et corporelles. Ici, la miséricorde est devenue une façon concrète d'être le « prochain » des frères les plus indigents.

 

6. Sœur Faustyna Kowalska a écrit dans son journal: « J'éprouve une douleur atroce, lorsque j'observe les souffrances du prochain. Toutes les souffrances du prochain se répercutent dans mon cœur; je porte dans mon cœur leurs angoisses, de sorte qu'elles m'anéantissent également physiquement. Je voudrais que toutes les douleurs retombent sur moi, pour soulager mon prochain » (Journal, p. 365). Voilà à quel point de partage conduit l'amour lorsqu'il se mesure à l'amour de Dieu! C'est de cet amour que l'humanité d'aujourd'hui doit s'inspirer pour affronter la crise de sens, les défis des besoins les plus divers, en particulier l'exigence de sauvegarder la dignité de chaque personne humaine. Le message de la divine miséricorde est ainsi, de façon implicite, également un message sur la valeur de chaque homme. Chaque personne est précieuse aux yeux de Dieu, le Christ a donné sa vie pour chacun, le Père fait don à tous de son Esprit et offre l'accès à son intimité.

 

7. Ce message réconfortant s'adresse en particulier à celui qui, touché par une épreuve particulièrement dure ou écrasé par le poids des péchés commis, a perdu toute confiance dans la vie et est tenter de céder au désespoir. C'est à lui que se présente le visage doux du Christ, c'est sur lui qu'arrivent ces rayons qui partent de son cœur et qui illuminent, réchauffent, indiquent le chemin et diffusent l'espérance. Combien d'âmes a déjà réconforté l'invocation: « Jésus, j'ai confiance en Toi », que la Providence a suggérée à Sœur Faustyna! Cet acte simple d'abandon à Jésus dissipe les nuages les plus épais et fait pénétrer un rayon de lumière dans la vie de chacun.

 

8. Misericordia Domini in aeternum cantabo (Ps 88 [89], 2). A la voix de la Très Sainte Vierge Marie, la « Mère de la miséricorde », à la voix de cette nouvelle sainte, qui dans la Jérusalem céleste chante la miséricorde avec tous les amis de Dieu, nous unissons nous aussi, Eglise en pèlerinage, notre voix. Et toi, Faustyna, don de Dieu à notre temps, don de la terre de Pologne à toute l'Eglise, obtiens-nous de percevoir la profondeur de la Miséricorde Divine, aide-nous à en faire l'expérience vivante et à en témoigner à nos frères. Que ton message de lumière et d'espérance se diffuse dans le monde entier, pousse les pécheurs à la conversion, dissipe les rivalités et les haines, incite les hommes et les nations à la pratique de la fraternité. Aujourd'hui, en tournant le regard avec toi vers le visage du Christ ressuscité, nous faisons nôtre ta prière d'abandon confiant et nous disons avec une ferme espérance: Jésus, j'ai confiance en Toi !

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10 janvier 2006 2 10 /01 /janvier /2006 22:20

 

"EXTRA OMNES !"

 

 

 

 

En cette heure de grande responsabilité, nous écoutons avec une attention particulière ce que le Seigneur nous dit à travers ses paroles mêmes. Des trois lectures, je ne voudrais choisir que quelques passages qui nous concernent directement dans un moment comme celui-ci. La première lecture offre un portrait prophétique de la figure du Messie - un portrait qui prend toute sa signification à partir du moment où Jésus lit ce texte dans la synagogue de Nazareth, lorsqu'il dit:  "Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture" (Lc 4, 21). Au centre de ce texte prophétique, nous trouvons un mot qui - tout au moins à première vue - apparaît contradictoire. Le Messie, en parlant de lui-même, dit qu'il a été envoyé "proclamer une année de grâce de la part de Yahvé et un jour de vengeance pour notre Dieu" (Is 61, 2). Nous écoutons, avec joie, l'annonce de l'année de grâce:  la Miséricorde Divine pose une limite au mal - nous a dit le Saint-Père. Jésus Christ est la Miséricorde Divine en personne:  rencontrer le Christ signifie rencontrer la miséricorde de Dieu. Le mandat du Christ est devenu notre mandat à travers l'onction sacerdotale; nous sommes appelés à promulguer - non seulement à travers nos paroles mais également notre vie, avec les signes efficaces des sacrements, "l'année de grâce du Seigneur". Mais que veut dire Isaïe lorsqu'il annonce un "jour de vengeance pour notre Dieu"? Jésus, à Nazareth, lors de sa lecture du texte prophétique, n'a pas prononcé ces paroles - il a conclu en annonçant l'année de grâce. Peut-être cela a-t-il été le motif du scandale qui a eu lieu après sa prédication? Nous ne le savons pas. Quoi qu'il en soit, le Seigneur a offert son commentaire authentique à ces paroles avec sa mort sur la croix:  "Lui qui, sur le bois, a porté lui-même nos fautes dans son corps...", dit saint Pierre (1 P 2, 24). Et saint Paul écrit aux Galates:  "Le Christ nous a rachetés de cette malédiction de la Loi, devenu lui-même malédiction pour nous, car il est écrit:  Maudit quiconque pend au gibet, afin qu'aux païens passe dans le Christ Jésus la bénédiction d'Abraham et que par la foi nous recevions l'Esprit de la promesse" (Ga 3, 13sq).

 

 

La Miséricorde du Christ n'est pas une grâce à bon marché, elle ne suppose pas la banalisation du mal. Le Christ porte dans son corps et sur son âme tout le poids du mal, toute sa force destructrice. Il brûle et transforme le mal dans la souffrance, dans le feu de son amour qui souffre. Le jour de la vengeance et de l'année de grâce coïncident avec le mystère pascal, dans le Christ mort et ressuscité. Telle est la vengeance de Dieu:  lui-même, en la personne du Fils, souffre pour nous. Plus nous sommes touchés par la miséricorde du Seigneur, plus nous devenons solidaires de sa souffrance - et plus nous somme prêts à compléter dans notre chair "ce qu'il manque aux épreuves du Christ" (Col 1, 24). Passons à la deuxième lecture, à la Lettre aux Ephésiens. Il s'agit ici, en substance, de trois choses:  tout d'abord des ministères et des charismes dans l'Eglise, comme dons du Seigneur ressuscité et monté au ciel; puis, de la maturation de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, comme condition et contenu de l'unité dans le Corps du Christ; et, enfin, de la participation commune à la croissance du corps du Christ, c'est-à-dire de la transformation du monde dans la communion avec le Seigneur. Arrêtons-nous sur deux points. Le premier est le chemin vers "la maturité du Christ", c'est ce que dit, en simplifiant un peu, le texte italien. Pour être plus précis, nous devrions parler, selon le texte grec, de la "mesure de la plénitude du Christ", à laquelle nous sommes appelés à arriver pour être réellement adultes dans la foi. Nous ne devrions pas rester des enfants dans la foi, dans un état de minorité. Et en quoi consiste le fait d'être des enfants dans la foi? Saint Paul répond: "Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine" (Ep 4, 14). Une description très actuelle !

 

 

Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de la pensée... La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballottée par ces vagues - jetée  d'un  extrême  à l'autre:  du marxisme au libéralisme, jusqu'au libertinisme; du collectivisme à l'individualisme radical; de l'athéisme à un vague mysticisme religieux; de l'agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite. Chaque jour naissent de nouvelles sectes et se réalise ce que dit saint Paul à propos de l'imposture des hommes, de l'astuce qui tend à les induire en erreur (cf. Ep 4, 14). Posséder une foi claire, selon le Credo de l'Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c'est-à-dire se laisser entraîner "à tout vent de la doctrine", apparaît comme l'unique attitude à la hauteur de l'époque actuelle. L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs.

 

 

Nous possédons, en revanche, une autre mesure: le Fils de Dieu, l'homme véritable. C'est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi "adulte" ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l'amitié avec le Christ. C'est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité. Cette foi adulte doit mûrir en nous, c'est vers cette foi que nous devons guider le troupeau du Christ. Et c'est cette foi, - cette foi seule - qui crée l'unité et qui se réalise dans la charité. Saint Paul nous offre à ce propos - en contraste avec les tribulations incessantes de ceux qui sont comme des enfants ballottés par les flots - une belle parole:  faire la vérité dans la charité, comme formule fondamentale de l'existence chrétienne. Dans le Christ, vérité et charité se retrouvent. Dans la mesure où nous nous rapprochons du Christ, la vérité et la charité se confondent aussi dans notre vie. La charité sans vérité serait aveugle; la vérité sans charité serait comme http://idata.over-blog.com/0/21/41/34/0419ratzinger.jpg"cymbale qui retentit" (1 Co 13, 1). Venons-en à présent à l'Evangile, de la richesse duquel je ne voudrais tirer que deux petites observations. Le Seigneur nous adresse ces paroles merveilleuses: "Je ne vous appelle plus serviteurs... mais je vous appelle amis" (Jn 15, 15). Nous avons parfois le sentiment de n'être - comme il est vrai - que des serviteurs inutiles (cf. Lc 17, 10). Et malgré cela le Seigneur nous appelle amis, fait de nous ses amis, nous donne son amitié. Le Seigneur définit l'amitié d'une double façon. Il n'y a pas de secrets entre amis: le Christ nous dit tout ce qu'il entend du Père; il nous donne pleinement sa confiance et, avec la confiance, également la connaissance. Il nous révèle son visage, son coeur. Il nous montre sa tendresse pour nous, son amour passionné qui va jusqu'à la folie de la croix. Il nous fait confiance, il nous donne le pouvoir de parler en son nom: "ceci est mon corps...", "je te pardonne...". Il nous confie son corps, l'Eglise. Il confie à nos faibles esprits, à nos faibles mains, sa vérité - le mystère du Dieu Père, Fils et Esprit Saint; le mystère du Dieu "qui a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique" (Jn 3, 16). Il nous a fait devenir ses amis - et nous, comment répondons-nous à cela ?

 

 

Le deuxième élément, avec lequel Jésus définit l'amitié, est la communion des intentions. "Idem velle - idem nolle", était également pour les Romains la définition de l'amitié. "Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande" (Jn 15, 14). L'amitié avec le Christ coïncide avec ce qu'exprime la troisième demande du Notre Père: "Que ta volonté sois faite sur la terre comme au ciel". A l'heure du Géthsémani, Jésus a transformé notre volonté humaine rebelle en volonté conforme et unie à la volonté divine. Il a souffert de tout le drame de notre autonomie - et, précisément en conduisant notre volonté entre les mains de Dieu, il nous donne la liberté véritable: "Pas ma volonté, mais la tienne" (Mt 21, 39). Dans cette communion des volontés se réalise notre rédemption: être amis de Jésus, devenir amis de Dieu. Plus nous aimons Jésus, plus nous le connaissons, plus grandit notre liberté véritable, plus grandit la joie d'être rachetés. Merci Jésus pour ton amitié ! L'autre élément de l'Evangile - dont je voulais parler - est le discours de Jésus sur le fait de porter du fruit: "C'est moi qui vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit" (Jn 15, 16). Apparaît ici le dynamisme de l'existence du chrétien, de l'apôtre: je vous ai constitués pour que vous alliez... Nous devons être animés par une sainte préoccupation : la préoccupation de porter à tous le don de la foi, de l'amitié avec le Christ. En vérité, l'amour, l'amitié de Dieu nous a été donnée pour qu'elle arrive également aux autres. Nous avons reçu la foi pour la donner aux autres - nous sommes des prêtres pour servir les autres. Et nous devons porter un fruit qui demeure. Tous les hommes veulent laisser une trace qui demeure. Mais qu'est-ce qui demeure? Pas l'argent. Même les constructions ne demeurent pas; les livres non plus. Après un certain temps, plus ou moins long, toutes ces choses disparaissent. L'unique chose qui reste pour l'éternité est l'âme humaine, l'homme créé par Dieu pour l'éternité. Le fruit qui reste est donc ce que nous avons semé dans les âmes humaines - l'amour, la connaissance; le geste capable de toucher le coeur, la parole qui ouvre l'âme à la joie du Seigneur. Alors, allons et prions le Seigneur, pour qu'il nous aide à porter du fruit, un fruit qui demeure. Ce n'est  qu'ainsi  que la terre peut être transformée d'une vallée de larmes en un jardin de Dieu. Nous revenons enfin, encore une fois, à la Lettre aux Ephésiens. La lettre dit - en reprenant les paroles du Psaume 68 - que le Christ, en montant au ciel, "a donné des dons aux hommes" (Ep 4, 8). Le vainqueur distribue des dons. Et ces dons sont les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les pasteurs et les maîtres. Notre ministère est un don du Christ aux hommes, pour édifier son Corps - le monde nouveau. Nous vivons notre ministère ainsi, comme un don du Christ aux hommes ! Mais en cette heure, en particulier, nous prions avec insistance le Seigneur afin qu'après le grand don du Pape Jean-Paul II, il nous donne à nouveau un pasteur selon son coeur, un pasteur qui nous guide à la connaissance du Christ, à son amour, à la joie véritable. Amen.

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10 janvier 2006 2 10 /01 /janvier /2006 22:02

Dans cette homélie exceptionnelle prononcée devant les chefs d'états de tous pays, le cardinal Joseph Ratzinger a rendu hommage au pape polonais, affirmant qu'il a assumé une charge « au delà des forces humaines » :

 

 

 

 

« Suis-moi », dit le Seigneur ressuscité à Pierre; telle est sa dernière parole à ce disciple, choisi pour paître ses brebis. « Suis-moi » - cette parole lapidaire du Christ peut être considérée comme la clé pour comprendre le message qui vient de la vie de notre regretté et bien-aimé Pape Jean-Paul II, dont nous déposons aujourd'hui le corps dans la terre comme semence d'immortalité - avec le coeur rempli de tristesse, mais aussi de joyeuse espérance et de profonde gratitude. Tels sont les sentiments qui nous animent, Frères et Soeurs dans le Christ, présents sur la place Saint Pierre, dans les rues adjacentes et en divers autres lieux de la ville de Rome, peuplée en ces jours d'une immense foule silencieuse et priante. Je vous salue tous cordialement. Au nom du Collège des Cardinaux, je désire aussi adresser mes salutations respectueuses aux Chefs d'État, de Gouvernement et aux délégations des différents pays. Je salue les Autorités et les Représentants des Églises et des Communautés chrétiennes, ainsi que des diverses religions. Je salue ensuite les Archevêques, les Évêques, les prêtres, les religieux, les religieuses et les fidèles, venus de tous les continents; et de façon particulière les jeunes, que Jean-Paul II aimait définir comme l'avenir et l'espérance de l'Église. Mon salut rejoint également tous ceux qui, dans chaque partie du monde, nous sont unis par la radio et la télévision, dans cette participation unanime au rite solennel d'adieu à notre Pape bien-aimé.


Suis-moi - depuis qu'il était jeune étudiant Karol Wojtyla s'enthousiasmait pour la littérature, pour le théâtre, pour la poésie. Travaillant dans une usine chimique, entouré et menacé par la terreur nazie, il a entendu la voix du Seigneur : Suis-moi ! Dans ce contexte très particulier il commença à lire des livres de philosophie et de théologie, il entra ensuite au séminaire clandestin créé par le Cardinal Sapieha et, après la guerre, il put compléter ses études à la faculté de théologie de l'université Jagellon de Cracovie. Très souvent, dans ses lettres aux prêtres et dans ses livres autobiographiques, il nous a parlé de son sacerdoce, lui qui fut ordonné prêtre le 1er novembre 1946. Dans ces textes, il interprète son sacerdoce en particulier à partir de trois paroles du Seigneur. Avant tout celle-ci : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). La deuxième parole est celle-ci : « Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). Et finalement : « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour » (Jn 15, 9). Dans ces trois paroles, nous voyons toute l'âme de notre Saint-Père. Il est réellement allé partout, et inlassablement, pour porter du fruit, un fruit qui demeure. « Levez-vous, allons ! », c'est le titre de son avant-dernier livre. « Levez-vous, allons ! » - par ces paroles, il nous a réveillés d'une foi fatiguée, du sommeil des disciples d'hier et d'aujourd'hui. « Levez-vous, allons ! » nous dit-il encore aujourd'hui. Le Saint-Père a été ensuite prêtre jusqu'au bout, parce qu'il a offert sa vie à Dieu pour ses brebis, et pour la famille humaine tout entière, dans une donation de soi quotidienne au service de l'Église et surtout dans les épreuves difficiles de ces derniers mois. Ainsi, il s'est uni au Christ, le Bon Pasteur qui aime ses brebis. Et enfin, « demeurez dans mon amour »: le Pape, qui a cherché la rencontre avec tous, qui a eu une capacité de pardon et d'ouverture du coeur pour tous, nous dit, encore aujourd'hui, avec ces différentes paroles du Seigneur : en demeurant dans l'amour du Christ nous apprenons, à l'école du Christ, l'art du véritable amour. Suis-moi ! En juillet 1958, commence pour le jeune prêtre Karol Wojtyla une nouvelle étape sur le chemin avec le Seigneur et à la suite du Seigneur. Karol s'était rendu comme d'habitude avec un groupe de jeunes passionnés de canoë aux lacs Masuri pour passer des vacances avec eux. Mais il portait sur lui une lettre qui l'invitait à se présenter au Primat de Pologne, le Cardinal Wyszylski et il pouvait deviner le but de la rencontre : sa nomination comme évêque auxiliaire de Cracovie. Laisser l'enseignement académique, laisser cette communion stimulante avec les jeunes, laisser le grand combat intellectuel pour connaître et interpréter le mystère de la créature humaine, pour rendre présent dans le monde d'aujourd'hui l'interprétation chrétienne de notre être - tout cela devait lui apparaître comme se perdre soi-même, perdre précisément ce qui était devenu l'identité humaine de ce jeune prêtre. Suis-moi - Karol Wojtyla accepta, entendant la voix du Christ dans l'appel de l'Église. Et il a compris ensuite jusqu'à quel point était vraie la parole du Seigneur : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera » (Lc 17, 33). Notre Pape - nous le savons tous - n'a jamais voulu sauvegarder sa propre vie, la garder pour lui; il a voulu se donner lui-même sans réserve, jusqu'au dernier instant, pour le Christ et de ce fait pour nous aussi. Il a fait ainsi l'expérience que tout ce qu'il avait remis entre les mains du Seigneur lui était restitué de manière nouvelle. Son amour du verbe, de la poésie, des lectures, fut une part essentielle de sa mission pastorale et a donné une nouvelle fraîcheur, une nouvelle actualité, un nouvel attrait à l'annonce de l'Évangile, même lorsque ce dernier est signe de contradiction. Suis-moi ! En octobre 1978, le Cardinal Wojtyla entendit de nouveau la voix du Seigneur. Se renouvelle alors le dialogue avec Pierre, repris dans l'Évangile de cette célébration : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? Sois le pasteur de mes brebis ! » À la question du Seigneur, Karol, m'aimes-tu ? l'Archevêque de Cracovie répond du plus profond de son coeur : « Seigneur, tu sais tout: tu sais bien que je t'aime ». L'amour du Christ fut la force dominante de notre bien-aimé Saint-Père; ceux qui l'ont vu prier, ceux qui l'ont entendu prêcher, le savent bien. Ainsi, grâce à son profond enracinement dans le Christ, il a pu porter une charge qui est au-delà des forces purement humaines : être le pasteur du troupeau du Christ, de son Église universelle. Ce n'est pas ici le moment de parler des différents aspects d'un pontificat aussi riche. Je voudrais seulement relire deux passages de la liturgie de ce jour, dans lesquels apparaissent des éléments centraux qui l'annoncent. Dans la première lecture, saint Pierre nous dit - et le Pape le dit aussi avec saint Pierre : « En vérité, je le comprends : Dieu ne fait pas de différence entre les hommes; mais, quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l'adorent et qui font ce qui est juste. Il a envoyé la Parole aux fils d'Israël, pour leur annoncer la paix par Jésus Christ : c'est lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous » (Ac 10, 34-36). Et, dans la deuxième lecture, - saint Paul, et avec saint Paul notre Pape défunt - nous exhorte à haute voix : « Mes frères bien-aimés que je désire tant revoir, vous, ma joie et ma récompense; tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés » (Ph 4, 1). Suis-moi ! En même temps qu'il lui confiait de paître son troupeau, le Christ annonça à Pierre son martyre. Par cette parole qui conclut et qui résume le dialogue sur l'amour et sur la charge de pasteur universel, le Seigneur rappelle un autre dialogue, qui s'est passé pendant la dernière Cène. Jésus avait dit alors : « Là où je m'en vais, vous ne pouvez pas y aller ». Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? ». Jésus lui répondit : « Là où je m'en vais, tu ne peux pas me suivre pour l'instant; tu me suivras plus tard » (Jn 13, 33.36). Jésus va de la Cène à la Croix, et à la Résurrection - il entre dans le mystère pascal; Pierre ne peut pas encore le suivre. Maintenant - après la Résurrection - ce moment est venu, ce « plus tard ». En étant le Pasteur du troupeau du Christ, Pierre entre dans le mystère pascal, il va vers la Croix et la Résurrection. Le Seigneur le dit par ces mots, « Quand tu étais jeune... tu allais où tu voulais, mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c'est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18). Dans la première période de son pontificat, le Saint-Père, encore jeune et plein de force, allait, sous la conduite du Christ, jusqu'aux confins du monde. Mais ensuite il est entré de plus en plus dans la communion aux souffrances du Christ, il a compris toujours mieux la Vérité de ces paroles: « C'est un autre qui te mettra ta ceinture... ». Et vraiment, dans cette communion avec le Seigneur souffrant, il a annoncé infatigablement et avec une intensité renouvelée l'Évangile, le mystère de l'amour qui va jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1). Il a interprété pour nous le mystère pascal comme mystère de la Divine miséricorde. Il écrit dans son dernier livre la limite imposée au mal « est en définitive la Divine miséricorde » (Mémoire et identité, p. 71). Et en réfléchissant sur l'attentat, il affirme : « En souffrant pour nous tous, le Christ a conféré un sens nouveau à la souffrance, il l'a introduite dans une nouvelle dimension, dans un nouvel ordre : celui de l'amour [...]. C'est la souffrance qui brûle et consume le mal par la flamme de l'amour et qui tire aussi du péché une floraison multiforme de bien» (ibid., p. 201-202). Animé par cette perspective, le Pape a souffert et aimé en communion avec le Christ et c'est pourquoi le message de sa souffrance et de son silence a été si éloquent et si fécond. Divine miséricorde : le Saint-Père a trouvé le reflet le plus pur de la miséricorde de Dieu dans la Mère de Dieu. Lui, qui tout jeune avait perdu sa mère, en a d'autant plus aimé la Mère de Dieu. Il a entendu les paroles du Seigneur crucifié comme si elles lui étaient personnellement adressées : « Voici ta Mère ». Et il a fait comme le disciple bien-aimé : il l'a accueillie au plus profond de son être (eis ta idia : Jn 19, 27) - Totus tuus. Et de cette Mère il a appris à se conformer au Christ.

Pour nous tous demeure inoubliable la manière dont en ce dernier dimanche de Pâques de son existence, le Saint-Père, marqué par la souffrance, s'est montré encore une fois à la fenêtre du Palais apostolique et a donné une dernière fois la Bénédiction Urbi et Orbi. Nous pouvons être sûrs que notre Pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la maison du Père, qu'il nous voit et qu'il nous bénit. Oui, puisses-tu nous bénir, Très Saint Père, nous confions ta chère âme à la Mère de Dieu, ta Mère, qui t'a conduit chaque jour et te conduira maintenant à la gloire éternelle de son Fils, Jésus Christ, notre Seigneur. Amen.

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