Pourquoi les textes magistériels ne trouvent-ils aucun écho dans nos paroisses (sauf rares exceptions) ? Pourquoi les décisions prises par le Souverain Pontife ne sont-elles presque jamais appliqués en France ? Telles sont les questions que se posent les fidèles lorsque, par exemple, ils comparent ce que disent le Concile et le missel romain avec ce qui se fait dans les églises, ou encore lorsqu'ils lisent les documents pontificaux et qu'ils constatent que ceux-ci ne donnent lieu à aucune application concrète dans les paroisses.
En fait, des dysfonctionnements se produisent à différents niveaux entre le Vatican et les paroisses : ils font que ce que dit le pape n'est pas toujours ce qu'on autorise les fidèles à entendre.
1. Premier niveau de dysfonctionnement : la conférence épiscopale
Il est indéniable que certaines conférences d'évêques sont aujourd'hui encore constituées de ce que le Cardinal Ratzinger appelait "une bureaucratie mitrée". En outre, en France, cette "bureaucratie" est noyautée - comme le faisait remarquer Mgr Gaidon - par quelques "grosses mitres" qui préparent soigneusement certaines élections pour se partager les "postes clés" de l'épiscopat. C'est ainsi que se maintient en place une lourde bureaucratie dans laquelle ce qui est principalement recherché, c'est la sécurité d'un consensus mou dans les domaines les plus sensibles de la vie de l'Eglise.
Dans un tel système, tout ce qui vient de Rome et qui risquerait de bousculer les habitudes prises - qui ne sont pas toujours de bonnes habitudes - est systématiquement relu, corrigé, amendé, édulcoré et souvent même classé "sans suite". Il s'agit là d'une véritable hostilité qui, contrairement à ce que l'on croit, ne se reporte pas essentiellement sur tel ou tel pape. Bien sûr, en France, Benoît XVI est mal vu par un certain nombre d'évêques qui n'ont jamais manqué de critiquer le Cardinal Ratzinger du temps où il était Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sans imaginer qu'il pourrait un jour devenir pape... Mais avant Benoît XVI, Paul VI et Jean-Paul II ont été tout autant critiqués, et leurs messages ont été tout autant passés sous silence par la conférence des évêques. On en a de très nombreuses preuves.
L'hostilité diffuse de la conférence des évêques est donc surtout dirigée contre les enseignements du Siège apostolique : des enseignements que l'on fait souvent passer pour "inadaptés" à la situation particulière de l' "Eglise-qui-est-en-France". Cette "inadaptation" supposée permet alors d'imaginer alors toutes les "adaptations" et toutes les "relectures" possibles, même quand celles-ci en arrivent à contredire peu ou prou le contenu du document magistériel originel. Selon Paolo Rodari, l'origine d'une telle opposition aux enseignements du Siège apostolique est à chercher dans l'importance croissante prise, depuis Vatican II, par les structures bureaucratiques au sein de certaines conférences épiscopales. Ces conférences qui - faut-il le rappeler ? - n'ont aucune base théologique, sont devenues comme des refuges pour tant de bureaucrates prenant plaisir à animer des sortes de petits soviets en guerre larvée contre le Vatican.
Depuis le Concile, c'est une véritable "anti-romanité" difficile à cerner et à endiguer qui s'est montrée au grand jour et s'est progressivement répandue. Sa cible véritable est Rome et ce que représente la Ville dans laquelle est établi le Siège apostolique. Ainsi, ce que certains pasteurs ne semblent plus pouvoir comprendre, c'est l'Eglise romaine elle-même : au lieu de voir en elle un guide sûr, ils ne voient qu'une simple structure coordonnatrice, une sorte d'ONG dont le travail consisterait à garantir une unité de façade établie sur la base du plus petit dénominateur commun qui ne dérange personne. Dans une telle structure, l'idéal serait donc d'avoir un pape se contentant de distribuer des bénédictions du haut de son balcon de la place Saint-Pierre. Aussi, quand Benoît XVI parle haut et fort, il dérange...
Au sein de la Conférence épiscopale agissent donc des responsables qui ont créés des petits postes de gouvernement locaux leur permettant de s'affranchir de la constitution hiérarchique de l'Eglise romaine. En utilisant cette nébuleuse bureaucratique, certaines conférences épiscopales ont désormais les moyens de s'opposer à Rome en valorisant des personnalités qui ont le plus de charisme dans les media et l'opinion publique. Il n'y a pas si longtemps d'ailleurs, quand un pape publiait un texte - encyclique, exhortation... - il se trouvait toujours un bureaucrate bien en vue pour expliquer comment il fallait comprendre le texte pontifical et surtout comment il fallait faire pour ne pas l'appliquer.
Ainsi se trouvent, aujourd'hui encore, au sein de la conférence épiscopale, des décideurs qui ont une vision de l'Eglise procédant de l'herméneutique de la rupture dénoncée par tous les papes, de Paul VI à Benoît XVI pour ne citer que les derniers. Il est clair que ces décideurs sont agacés par le langage clair et courageux d'un Benoît XVI...
2. Deuxième niveau de dysfonctionnements : les diocèses
Certains prêtres qui sont aujourd'hui aux postes de commande de diocèses sont majoritairement les "enfants naturels" des contestataires qui avaient déjà infiltré l'Eglise bien avant Vatican II. Qui étaient ces contestataires ? Très souvent des gens incontestablement très généreux sur le plan humain, mais pas forcément faits pour être prêtres. Beaucoup ont été poussés à devenir prêtres précisément parce qu'ils avaient ce tempérament altruiste qui suscitait l'admiration des bonnes âmes : on a alors pensé que cette vertu, une fois enrobée dans de la piété - ou parfois de la "pieuserie" - pourrait permettre à un prêtre de s'épanouir dans sa fonction sacerdotale. Erreur !
Cette façon de concevoir la prêtrise n'a malheureusement donné qu'un clergé sans grande envergure intellectuelle, sans véritable goût pour la prière, extérieurement docile, mais au sein duquel se trouvaient des gens aigris, mal dans leur peau, qui en voulaient à l'Eglise-institution de les avoir ordonnés après les avoir bercés d'illusions et trompés sur le caractère véritable du sacerdoce.
Ce clergé-là a alors mis beaucoup d'espoir dans un Concile qui, croyait-il, allait les libérer de certaines contraintes mal acceptées et qui touchaient autant à la vie affective qu'aux exigences d'une ritualisation scrupuleuse de tout ce qui gravitait autour de la liturgie et qui n'était à leurs yeux souvent plus que de l'ordre des apparences. Certains de ces prêtres-là, ceux d'avant Vatican II, déçus par un Concile qui n'avait pas répondu à leurs attentes (souvent dénuées de fondements théologiques), ont souvent été propulsés à la tête des séminaires diocésains car ils représentaient l'"aile marchante" de l'Eglise, celle qui, croyait-on, reflétait au mieux les orientations de Vatican II présentées comme novatrices. Chargés de la formation des futurs prêtres, ceux de la génération de l'immédiat après-Concile, ils n'ont retenu et transmis de Vatican II que les passages qui, à la faveur d'une lecture erronée, leur permettait de justifier la "braderie" des valeurs contraignantes héritées du passé et auxquelles ils ne croyaient plus.
Ce sont eux les premiers qui ont situé Vatican II dans une herméneutique de rupture leur permettant d'envisager un sacerdoce soft dans un christianisme light. Comme l'a fait remarquer Mgr Gaidon, autour de ces responsables de la formation des futurs prêtres ne sont alors restés dans ces séminaires de France que des esprits faibles attirés par une religiosité où ne devait primer que l'émotionnel et les bons sentiments. Pour eux, l'Eucharistie n'était plus que la "célébration du vécu", les études approfondies devenaient inutile, la célébration des Heures se faisait assis par terre autour d'une table basse, la guitare devenait l'instrument créateur de l'ambiance conviviale recherchée... On n'allait plus guère au-delà d'une joyeuse veillée scoute entre copains...
Ce sont ces jeunes demeurés dans des séminaires où l'on apprenait à contester le Magistère, à critiquer tout ce qui venait du Vatican, à saboter la liturgie, à haïr tout ce qui, de près ou de loin, pouvait rappeler quelque chose de traditionnel, à démolir tout ce qui était solidement structuré... qui ont été ordonnés. Un grand nombre d'entre eux sont aujourd'hui aux postes importants dans les diocèses où ils s'entourent de fidèles laïcs ayant généralement le même "tempérament anti-magistère". Ces prêtres et ces laïcs sont les responsables de la catéchèse, de la liturgie, du chant sacré (ou prétendu tel), de l'aménagement des sanctuaires, de la pastorale... Ils ne savent souvent faire qu'une chose : des réunions. Tout doit obligatoirement passer par eux dans tous les domaines de la vie diocésaine et paroissiale : pour simplement faire ce que l'Eglise demande de faire... il faut leur accord ! Qu'ils donnent parfois... mais à contrecoeur.
Certains de ces séminaristes (dé)formés dans les années 1970-80 sont aujourd'hui évêques. Quand on voit le parcours qu'ils ont généralement suivi, on voit qu'ils ont touché un peu à tout sans rien approfondir : leur bagage théologique paraît souvent bien léger. En outre, certains ont conservé en eux une aversion plus ou moins ouverte de ce qui vient de Rome - y compris la liturgie - et leur sensus Ecclesiae semble plus ou moins gravement altéré, au point que lorsqu'ils regardent le pape actuel, ils voient davantage l'ex-Cardinal Ratzinger qu'ils ne portent pas dans leur coeur que le Successeur de Pierre qu'il fait aimer et respecter.
C'est dire que les fidèles ne peuvent pas tellement espérer d'eux qu'ils transmettent fidèlement et courageusement l'enseignement magistériel ou encore qu'ils leur apprennent quelque chose de solide sur la foi catholique. Leurs discours manquent souvent de tonus et l'on ne sent jamais chez eux un engagement sans réserve aux côtés du Souverain Pontife: au demeurant, aucune des décisions prises à Rome n'est appliquée dans les diocèses de France, à trois ou quatre exceptions près.
3. Troisième niveau de dysfonctionnements : les paroisses
A la tête des paroisses - ou des "secteurs paroissiaux’’ - n'ont souvent été nommés, ces dernières années, que des prêtres ayant eux-mêmes une vision déformée ou insuffisante de l'Eglise. Ils n'ont donc pas d'autres possibilités que de suivre les orientations pastorales données par les états-majors diocésains.
Par tempérament ou par goût, certains de ces prêtres sont plus ouverts et plus arrangeants que d'autres, mais au fond, comme tous ceux de leur génération, ils n'iront jamais jusqu'à affirmer une position claire de fidélité au Magistère. Entre le pape et le vicaire épiscopal local, leur choix est fait : c'est le vicaire épiscopal qu'il faut suivre, même quand ce dernier fait savoir, au cours d'une "réunion de secteur", qu'il n'est pas question dans le diocèse de tenir compte de ce que dit et demande Benoît XVI... Ce qui arrive bien plus souvent qu'on ne l'imagine si l'on en croit le témoignage de nombreux prêtres.
L'hostilité à l'encontre du Successeur de Pierre est donc bien présente au sein même du catholicisme. Déclarée à certaines occasions, elle demeure le plus souvent larvée mais opérationnelle; et c'est elle qui fait qu'entre le pape et les fidèles de la base se trouvent désormais des instances diocésaines ou paroissiales influentes chargées de bloquer la communication. Car on le sait bien : il n'y a pas que le prétendu message sur le préservatif qui a mal passé chez certains baptisés influents : les enseignements magistériels sur la liturgie, sur la catéchèse, sur la formation du clergé en général et des futurs prêtres en particulier... ne passent pas davantage.
Oui, entre le pape et nous ça coince. Souvent parce que tous les niveaux des diocèses et des paroisses sont sous le contrôle de responsables dont le sensus Ecclesiae a été perturbé et qui en sont manifestement restés à ce qu'on leur a appris dans les années 1970-80 : une vague théologie de surface, largement inconsistante, et une ecclésiologie trop approximative.
Tant que les orientations pastorales resteront tributaires de cet état d'esprit aujourd'hui largement dépassé, il sera inutile d'espérer un redressement de la situation au sein des diocèses et des paroisses de France. Il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que Benoît XVI en est bien conscient lui-même...
Pro Liturgia